Discours du Chancelier de la République fédérale d'Allemagne Olaf Scholzà l’occasion de la Conférence de Munich sur la sécurité

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Mesdames et Messieurs les Chefs d'État et de gouvernement, chères et chers collègues,

chers invités d’Allemagne et de l’étranger,

Excellences, Messieurs Ischinger et Heusgen,

Mesdames et Messieurs,

Avant de partager avec vous quelques réflexions sur la situation du monde et la manière dont nous devons agir face au raz de marée géopolitique qui figure cette année à l’ordre du jour de la Conférence de Munich sur la sécurité, je souhaite tout d’abord évoquer un autre raz de marée, qui n’a pas lieu à l’autre coin du monde mais ici-même, à l’hôtel Bayerischer Hof.

Cher Wolfgang Ischinger, pendant 14 ans, vous avez non seulement été hôte et maître de céans de la Conférence de Munich sur la sécurité, mais également directeur spirituel, inspirateur, innovateur et instigateur. Notre conférence, aujourd’hui et demain, sera cette fois votre dernière à ce poste. Je souhaite donc vous remercier pour votre travail de ces dernières années au profit des relations internationales et, tout particulièrement, au profit de l’amitié transatlantique. Monsieur l’Ambassadeur, merci beaucoup !

J’associe à ces remerciements mes meilleurs souhaits de bienvenue à votre successeur. S’il existe bien quelqu’un capable de suivre votre voie sans ne rien en perdre, c’est bien vous, cher Monsieur Heusgen, grâce à votre grande expérience sur la scène internationale. Je me réjouis du fait que nous puissions également maintenir des relations étroites lorsque vous occuperez ce nouveau poste. Mes meilleurs vœux de succès vous accompagnent !

Mesdames et Messieurs, la Conférence de Munich sur la sécurité est connue pour sa conscience aigüe des échéances. Je n’aurais toutefois rien contre le fait de vous retrouver pendant une période moins turbulente.

L’Europe vit de nouveau sous la menace d’une guerre. Et le risque est tout sauf écarté.

Même des défis d’ampleur mondiale tels que la pandémie et la lutte contre le dérèglement climatique s’effacent derrière ce sujet dans les débats publics. Ils appellent pourtant de toute urgence une réponse.

Cher Monsieur Ischinger, c’est dans ce sens que j’ai interprété hier votre exhortation aux sociétés démocratiques à se défaire de l’impuissance dont elles sont elles-mêmes responsables, en suivant la devise : « unlearning helplessness », soit « désapprendre l’impuissance ».

Vu la situation critique en matière de sécurité, je souhaite justement également tout d’abord préciser une chose : il y a bien entendu des personnes qui chantent en chœur, à convenance, les adieux des démocraties libérales, de « l’Occident » ou de l’ordre international qu’il a forgé. Et je ne nierai pas que les sociétés libres et démocratiques ont des concurrents. Mais nous pouvons affirmer avec assurance que ce modèle a su s’imposer face à la concurrence.

Les raisons sont aujourd’hui toujours les mêmes. Les démocraties sont plus réactives et résilientes sur le long terme car la liberté et le pluralisme d’opinion, la tenue d’élections libres, la reconnaissance de l’opposition politique ainsi que la protection des minorités engendrent un équilibre sociétal. Les États de droit qui fonctionnent correctement sont propices à la confiance et à la stabilité et les pays sont plus résistants lorsqu’ils respectent la dignité de l’être humain au lieu de la bafouer.

Avoir l’aplomb de rester fidèle à ces principes n’a rien de clivant car une vie empreinte de liberté, de justice et de dignité n’est pas expressément une revendication exclusivement « occidentale », il s’agit d’une revendication profondément humaine et universelle.

Cette idée de valeurs universelles forme justement la base de l’ordre mondial né des catastrophes du XXe siècle. Ce nouvel ordre mondial a permis un rééquilibrage et une prospérité croissante, non seulement en Amérique du Nord et en Europe mais également dans certaines régions du monde qui ont à présent plus de poids sur le plan économique et politique et souhaitent, voire même doivent s’exprimer et apporter leur contribution. Cette envie de contribuer est la bienvenue. C’est là un succès car, loin d’affaiblir le système, des partenaires puissants et autodéterminés permettent de résoudre des difficultés que même les plus grands et les plus puissants ne parviennent à surmonter seuls.

Cet ordre mondial suppose toutefois obligatoirement une volonté de coopération, même vis-à-vis d’interlocuteurs exigeants, en faisant preuve de convictions bien établies, de pragmatisme, d’une assurance raisonnable et, bien entendu, d’une certaine force qui nous est propre. Il repose sur une promesse centrale : tous, même les plus puissants, promettent de se conformer aux règles du jeu.

Me voici là arrivé à ce que nous observons ces derniers mois dans la partie orientale de notre continent. Disons-le clairement : le déploiement de bien plus de 100 000 soldats russes sur les pourtours de l’Ukraine n’est en rien justifié. La Russie a fait d’une possible intégration de l’Ukraine dans l’OTAN un casus belli. C’est tout à fait paradoxal alors qu’aucune décision n’est attendue à ce sujet.

Nous, les Européens et la communauté transatlantique, avons mis la Russie en garde : toute agression militaire envers l’Ukraine serait une grave erreur. Nous ne voulons pas que cela en arrive à ce point !

À présent, la Russie a dévoilé sa réponse aux propositions des États-Unis et j’affirme : oui, nous sommes prêts à négocier. Nous ferons bien entendu clairement la part des choses entre, d’un côté, les revendications déraisonnables et, d’un autre côté, les intérêts légitimes en matière de sécurité. Nous devons oser opérer cette distinction au vu de tous les enjeux dont il est question.

Les principes fondamentaux garantis par l’OSCE ne sont pas négociables. La Russie y a adhéré et ils comprennent notamment le libre choix des alliances.

Dans le même temps, certaines questions de sécurité importent aux deux parties, à commencer par la transparence vis-à-vis des systèmes d’armes et des exercices, des mécanismes visant à minimiser les risques ou encore de nouvelles approches pour la maîtrise des armements.

Lors de ma rencontre avec le président Vladimir Poutine mardi dernier, j’ai été clair : toute nouvelle violation de l’intégrité territoriale de l'Ukraine aura un prix élevé pour la Russie, sur le plan politique, économique et géostratégique. J’ai, par la même occasion, souligné que la diplomatie n’échouerait pas par notre faute.

L’objectif est d’user autant que possible de la diplomatie sans être naïf. Nous passons pour ce faire par tous les canaux de communication : le Conseil OTAN-Russie qui s’est finalement de nouveau réuni au bout de plusieurs années ; l’OSCE qui permet de discuter avec tous les Européens, les Russes et les Américains de la prévention d’un conflit, alors que la présidence polonaise a présenté des propositions à ce sujet. Il y a le canal bilatéral entre la Russie et les États-Unis. Et nous avons également recours au format Normandie, qui reste décisif pour résoudre le conflit.

Lors de mes visites à Kiev et Moscou, j’ai insisté pour que soient mis en œuvre les accords de Minsk. Je suis particulièrement reconnaissant envers le président Volodymyr Zelensky qui a accepté d’accélérer le processus législatif et d’en discuter au sein du Groupe de contact trilatéral.

Je ne me fais, bien entendu, pas d’illusions. Nous ne nous attendons pas à parvenir rapidement à des résultats. Mais ce n’est qu’en négociant que nous briserons la dynamique de la crise. Il en va, somme toute, ni plus ni moins de la paix en Europe.

Mesdames et Messieurs, ces événements doivent s’accompagner d’un recentrage de l’Europe et de l’alliance transatlantique dans un monde transformé. Les processus stratégiques au sein de l’Union européenne et de l’OTAN revêtent donc une importance toute particulière.

J’aimerais y apporter quatre réflexions fondamentales.

Premièrement, nous devrons élargir notre concept de sécurité. Cher Monsieur Ischinger, la Conférence de Munich sur la sécurité a toujours été précurseur en la matière, alors qu’elle traite aujourd’hui également de manière tout à fait naturelle des risques engendrés par le dérèglement climatique, les crises sanitaires mondiales ou les abus du cyberespace et des nouvelles technologies.

Ce concept élargi implique toutefois obligatoirement une continuité et une consolidation mutuelles entre l’UE et l’OTAN, qui doivent se préparer ensemble à de nouveaux risques. En fin de compte, une cyberattaque reste en effet une cyberattaque, qu’elle soit menée depuis Saint-Pétersbourg, Téhéran ou Pyongyang.

Je pense que nous partageons tous le même avis : si c’est une chose de garder un œil sur ce nouveau type de menaces, la vision d’une Organisation du Traité de l'Atlantique Nord agissant dans le monde entier en est effectivement une autre.

Les développements de ces derniers mois nous montrent justement que mettre l’accent sur l’alliance de défense dans l’Atlantique Nord demeure toujours aussi important. Nous devons fournir les efforts qui sont pour cela nécessaires. Et, oui, cela s’applique également à l’Allemagne. Des avions qui volent, des navires qui peuvent naviguer, des soldats qui sont correctement équipés pour affronter leurs dangereuses missions, tout cela, un pays de notre taille, qui porte une responsabilité toute particulière en Europe, doit pouvoir se le permettre.

Nous le devons également à nos alliés de l’OTAN. Je tiens donc à leur affirmer : l’Allemagne assume ses responsabilités pour garantir les principes de l’article 5 de manière inconditionnelle. Nous faisons également concrètement preuve de solidarité, par exemple actuellement avec une présence renforcée de la Bundeswehr dans les pays baltes et notre contribution à la mission de police du ciel de l’OTAN au sud-est de l’alliance.

Cela m’amène au deuxième point : le recentrage de nos partenariats et de nos alliances ne s’effectue pas dans le vide mais en interdépendance avec d’autres acteurs et leurs ambitions. Une analyse objective du monde qui nous entoure en constitue le point de départ. Actuellement, près de huit milliards de personnes occupent notre planète et la tendance est à la hausse. Seule une petite part d’entre elles vit dans l’Union européenne et aux États-Unis, soit, respectivement, 450 et 330 millions d’habitants.

Des décalages similaires peuvent être observés lorsque l’on étudie l’évolution de nos parts respectives de l’économie mondiale au cours des dernières décennies. Les parts de gâteau diminuent à vue d’œil. Cela signifie pour moi que le monde du XXIe siècle ne sera ni unipolaire, ni bipolaire. Il disposera de plusieurs centres de pouvoir. En soi, cette évolution n’est pas une mauvaise chose, car la prospérité s’accroît ou, pour continuer sur la même métaphore, parce le gâteau est de plus en plus gros.

Le fait que, par rapport à il y a 30 ans, plus d’un milliard de personnes en moins vivent en situation d’extrême pauvreté est un succès pour l’ensemble de la communauté internationale et il nous faut y travailler dur, en particulier en cette période de pandémie. L’émergence d’une classe moyenne dans des pays tels que la Chine, l’Indonésie ou l’Inde profite également à des employés chez nous.

En Asie, il n’est de toute façon pas question « d’ascension » mais, tout au plus, d’une « remontée ». De l’avis de Pékin ou Delhi, obtenir le statut de grande puissance n’est pas un caprice de l’histoire, il s’agit d’un retour au statu quo ante. Il n’y a rien à redire à cela. Bien au contraire.

Cela devient problématique lorsque cette montée en puissance se transforme en appel à l’obédience et à des zones d’influence, lorsque les règles universelles que nous portions hier sont aujourd’hui balayées d’un trait. Aucun pays ne devrait servir d’arrière-cour à un autre pays. Notre position vis-à-vis du pouvoir revendiqué notamment par la Chine sera aussi différenciée que ses revendications et nous chercherons ainsi à former des coopérations répondant aux intérêts des deux parties, que ce soit pour la lutte contre le dérèglement climatique et la pauvreté ou, aussi délicat que ce soit, pour la maîtrise des armements, nous chercherons à renforcer nos propres capacités et nous manifesterons clairement notre opposition à toute menace de l’ordre multilatéral ou à tout bafouement des droits de l’homme.

Une chose s’applique toutefois à ces trois domaines : plus l’Europe et l’Amérique du Nord se coordonneront, plus nous réussirons.

Et me voici arrivé à mon troisième point : nous avons besoin d’une ligne claire quant aux ambitions de l’Union européenne vis-à-vis de sa propre sécurité et au-delà. Je pense ici à la souveraineté européenne.

Je décrivais à l’instant les glissements géopolitiques dans les rapports de force dont il est question. En ce qui concerne les États-Unis, une chose est certaine : ils resteront un centre de gravité, même dans un monde multipolaire. Aucun doute n’est permis là-dessus. Les entretiens que j’ai menés à Washington la semaine dernière m’ont conforté dans cette idée.

En ce qui concerne l’Europe, les choses sont différentes. Nous, les Européens, ne conserverons notre capacité d'action, notre autonomie décisionnelle que si nous unissons nos volontés et nos capacités au sein de l’Union européenne.

Et d’ailleurs, lorsque j’évoque l’Union européenne, j’y inclus également les pays des Balkans occidentaux. Il ne suffit pas d’intégrer la perspective d’élargissement à cette région dans nos objectifs stratégiques. Nous devons la faire avancer de manière active. Je me réjouis de voir de nombreux collègues de cette région ici, car cette tâche est un projet commun.

L’Union européenne est notre cadre d’action, c’est notre chance. Rester une « puissance parmi les puissances », voici ce dont il est question lorsque nous évoquons la « souveraineté européenne ». Nous avons besoin de trois choses pour y parvenir : premièrement, la volonté d’agir en tant que « puissance parmi les puissances », deuxièmement, des objectifs stratégiques communs et, troisièmement, les capacités pour atteindre ces objectifs. Nous travaillons à tous ces points.

Les jalons des ambitions que devra satisfaire la nouvelle « boussole stratégique » de l’UE sont donc posés. On y retrouve l’engagement européen dans la lutte contre le terrorisme qui englobe la stabilisation civile et la formation militaire en passant par le matériel. On y retrouve de nouvelles idées pour une maîtrise des armements plus efficace, promotrice de transparence et de confiance ici en Europe. Les négociations avec la Russie, si elles ont lieu, pourraient être un bon début. Et finalement, on y retrouve une diplomatie européenne active, telle que nous la pratiquons par exemple vis-à-vis de l’Iran.

Puisque nous en sommes arrivés à l’Iran : nous avons beaucoup avancé au niveau des négociations à Vienne au cours des dix derniers mois. Tous les éléments nécessaires à la conclusion des négociations sont sur la table. En revanche, si le pays poursuit la production de combustible enrichi et suspend le programme de surveillance de l’AIEA, c’est inacceptable. Nous ne tolérerons pas que l’Iran dispose d’armes nucléaires, notamment parce que la sécurité d’Israël n’est pas négociable. Nous n’avons donc eu de cesse de signaler que le moment sera bientôt venu de décider si un retour à l’accord JCPoA est raisonnable.

Nous avons actuellement la possibilité de parvenir à un accord permettant de lever les sanctions. Dans le même temps, les négociations risquent d’échouer si cela n’aboutit pas très rapidement. Le gouvernement iranien a à présent le choix. Le moment de vérité est venu.

Pour moi, les négociations sur le nucléaire menées par l’UE sont un bon exemple de ce que l’Europe est capable de faire en coopération avec ses partenaires.

Ce qui m’amène à mon quatrième et dernier point qui s’avère être à la fois une sollicitation et un vœu : let us stick together! Restons unis, en tant qu’amis et alliés.

Rester unis, cela signifie également pour nos amis et partenaires qu’ils doivent accepter l’Union européenne en tant qu’unité, la reconnaître en tant qu’acteur international et la soutenir dans ses futurs projets d’intégration. Nous avons déjà assez à faire avec nos ennemis qui tentent de nous diviser.

C’est la raison pour laquelle, chère Kamala Harris, je suis très reconnaissant envers vous ainsi qu’envers tous les amis du Congrès des États-Unis et envers le gouvernement américain car vous concrétisez chaque jour la promesse donnée l’année dernière par le président Joe Biden ici même à Munich : « de soutenir l’objectif d’une Europe unie, libre et en paix ». Cette Union européenne unie, libre et en paix, et j’y ajoute l’attribut « souveraine », ne s’oppose à personne. Elle représente encore moins un risque pour la coopération transatlantique. Bien au contraire !

En fin de compte, seule une Europe capable d’agir restera un partenaire attractif pour les États-Unis : en tant que solide pilier de l’alliance transatlantique, en tant que porte-parole de la démocratie, de la liberté et de la justice qu’on ne peut ignorer et en tant que meilleur ami et partenaire de l’Amérique.

À présent, Mesdames et Messieurs, je me réjouis de répondre à vos questions et de pouvoir discuter avec vous.

Merci de votre attention !