« Ce qui est fascinant, c’est qu’aucun jour ne se ressemble »

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Représentant permanent de la République fédérale d’Allemagne auprès des Nations Unies « Ce qui est fascinant, c’est qu’aucun jour ne se ressemble »

Jusqu’à la fin de l’année, l’Allemagne est encore membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. « Les crises et les conflits sur cette terre ne sont pas des choses que nous pouvons observer à distance de manière neutre », explique l’ambassadeur allemand auprès des Nations Unies Christoph Heusgen. Dans l’interview qu’il a accordée, il parle de son point de vue sur la Chine, du climat et de la sécurité, de son engagement personnel et de ses expériences acquises durant ses 40 ans de service dans la diplomatie.

Temps de lecture: 18 min.

La pandémie de Covid-19 complique-t-elle votre travail ? Qu’avez-vous mis en place pour y faire face ?

Christoph Heusgen : Je répondrai clairement oui. Mais rappelons, pour commencer, que la pandémie de Covid-19 a très fortement touché la métropole mondiale de New York. En Allemagne, de nombreuses personnes ont encore à l’esprit des images de rues encaissées vides et d’hôpitaux complètement saturés. Aujourd’hui, New York se porte plutôt bien par rapport à ce que c’était. Des mesures d’assouplissement modérées et progressives sont donc possibles à présent.

Bien sûr, tout cela n’est pas sans répercussion sur le travail des Nations Unies. Depuis mi-mars, le Conseil de sécurité et les commissions de l’Assemblée générale se réunissent sous forme virtuelle. Globalement, ce changement d’organisation s’est opéré sans heurt.

Une chose est sûre cependant : les réunions virtuelles ne peuvent pas se substituer aux entretiens et négociations en face-à-face, qui constituent l’essence même de la diplomatie. À moyen terme, il nous faudra donc réinstaurer les réunions physiques, en respectant, cela va de soi, les mesures sanitaires. La semaine dernière, une réunion physique du Conseil de sécurité a eu lieu pour la première fois depuis quatre mois au siège des Nations Unies. Cela a été un moment très particulier, du fait que cela s’est produit à l’initiative de l’Allemagne durant la présidence allemande du Conseil de sécurité. Actuellement, nous mettons tout en œuvre pour que ces rencontres en personne aient de nouveau lieu plus souvent.

Comment votre équipe est-elle structurée ?

C. Heusgen : Les collègues au sein de la Mission permanente travaillent dans des équipes thématiques. Il s’agit par exemple de la Direction politique, qui couvre l’ensemble des thèmes liés aux questions régionales, des droits de l’homme jusqu’aux crises et conflits en Libye, en Syrie, au Proche-Orient, en Afghanistan, au Mali, au Venezuela ou en Corée du Nord, en passant par le maintien de la paix et les questions des sanctions, pour ne citer que quelques exemples. L’équipe de presse, chargée de répondre aux correspondants sur tous les sujets et d’informer l’opinion publique, fait également partie de cette direction. L’aide humanitaire, le climat et la sécurité, les questions du développement durable et les affaires budgétaires et de personnel sont traités quant à eux au sein de la Direction économique.

L’équipe du Conseil de sécurité réunit ensuite tous ceux qui élaborent l’agenda du Conseil. De manière générale, le Conseil profite de l’expertise de collaborateurs issus de nombreux pans du gouvernement fédéral : parmi eux, la majorité travaille au ministère fédéral des Affaires étrangères, ainsi qu’au ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement, au ministère fédéral de la Défense, au ministère fédéral de l’Environnement, au ministère fédéral de l’Économie et au ministère fédéral des Finances. Nous sommes également activement soutenus par des recrutés locaux. Mais une telle équipe ne peut fonctionner, il va sans dire, sans tous ceux qui font tourner la boutique au sens littéral du terme : administration, chauffeurs et personnel de sécurité. L’équipe est vraiment très diversifiée et bien préparée.

En quoi consiste votre travail exactement ?

C. Heusgen : Mon travail est rythmé en permanence par des rencontres, des entretiens, des réunions et des négociations de résolution, que ce soit en interne au sein de l’équipe ou avec d’autres États membres ou représentants des Nations Unies, en petit ou grand comité et en public ou en coulisses. Les visites d’éminentes personnalités, les rendez-vous de presse et les briefings pour la société civile font aussi partie de mon quotidien. Ce qui est fascinant, c’est qu’aucun jour ne se ressemble. En effet, les sujets et les problématiques ne sont jamais les mêmes et l’ordre du jour du Conseil de sécurité est déterminé par les crises et les conflits actuels.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) et le travail politique en son sein sont très éloignés de la réalité de la plupart des citoyens. Pourquoi, selon vous, devraient-ils s’y intéresser ? Et pourquoi le mandat de deux ans de membre non permanent et l’actuelle présidence de l’Allemagne au Conseil de sécurité des Nations Unies sont-ils si importants ?

C. Heusgen : Il est vrai que New York et de nombreux conflits et crises internationaux semblent très éloignés d’un point de vue géographique. Mais cela devrait tous nous intéresser car cela nous concerne tous ! Les crises et les conflits sur cette terre ne sont pas des choses que nous pouvons observer à distance de manière neutre. L’Allemagne s’engage fermement dans la résolution pacifique des conflits et défend le droit international et le multilatéralisme. Les Nations Unies ont été créées il y a 75 ans à la fin de la Seconde Guerre mondiale et sont nées de la conviction que les problèmes internationaux ne peuvent être traités que de façon collective. New York est le seul endroit au monde où tous les États recherchent des solutions ensemble. Le processus est souvent laborieux, certes, mais il n’y en a pas d’autre.

Prenons la Libye, théâtre d’un d’âpre conflit aux portes de l’Europe, qui dure depuis près de dix ans et qui est à l’origine de nombreuses souffrances humaines. L’un des moteurs du conflit est l’ingérence extérieure par le biais de livraisons d’armes. L’Allemagne préside le Comité des sanctions sur la Libye. Il va sans dire que, dans ce rôle, l’on ne peut pas rapprocher immédiatement les intérêts souvent très opposés des différentes parties au conflit. Mais de concert avec les Nations Unies, le gouvernement fédéral a lancé un processus politique avec la conférence de Berlin, par lequel les parties au conflit ont pu au moins échanger entre elles et préparer des mécanismes de négociation. C’est la seule voie vers une solution durable.

Ou prenons un autre exemple : si, à cause du changement climatique, les habitants du bassin du lac Tchad se voient privés de leurs moyens d’existence, qu’ils quittent leurs territoires traditionnels et se retrouvent confrontés ailleurs à une population locale dans un contexte où chacun rivalise pour survivre, il s’agit alors d’une question de sécurité sur le terrain. Le fait que les habitants puissent mener une vie digne et sûre dans leur propre pays ou qu’ils soient au contraire prêts à quitter leur pays pour rejoindre l’Europe ou un autre endroit est un sujet qui nous concerne nous aussi de façon tout à fait concrète.
Au sein du Conseil de sécurité, l’on peut inscrire ces thèmes de manière ciblée à l’ordre du jour international, et la présidence offre pour cela une marge de manœuvre non négligeable.

La présidence allemande du Conseil de l’UE change-t-elle l’angle de vue ?

C. Heusgen : Avec la double présidence allemande – en juillet au Conseil de sécurité des Nations Unies et depuis juillet jusqu’à la fin de l’année au Conseil de l’UE –, les regards s’affûtent de manière générale : de l’extérieur vers l’Allemagne mais aussi de l’Allemagne sur le monde. Nous avons l’immense responsabilité de façonner l’agenda international et de faire office d’intermédiaire dès que nous le pouvons. Ici, à New York, cela signifie surtout - mais c’était déjà notre mantra dès le début de notre mandat en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité - que nous fassions entendre une voix européenne forte. Le hasard de l’alphabet fait en outre qu’en mai, juin et juillet, trois pays membres de l’UE (Estonie, France et Allemagne) ont pris successivement la présidence après que la Belgique a été elle aussi à la présidence en février dernier. À l’heure de ce « printemps européen », nous nous coordonnons très étroitement sur le contenu, sachant que la maîtrise de la pandémie de Covid-19 occupe le devant de la scène aussi bien à New York qu’à Bruxelles.

Quels sont les thèmes que vous avez ajoutés à l’ordre du jour du Conseil de sécurité des Nations Unies ? Sur quels sujets l’Allemagne a-t-elle donné des impulsions ? Qu’est-ce que l’Allemagne a atteint jusqu’ici au Conseil de sécurité ?

C. Heusgen : J’ai déjà évoqué le thème du climat et de la sécurité. En juillet 2020, sous la présidence allemande, nous remettons à nouveau à l’ordre du jour du Conseil de sécurité cette question qui était déjà l’un de nos fers de lance lors de notre présidence du Conseil de sécurité en 2011. Le fait qu’aucun progrès palpable n’ait pu être réalisé au Conseil de sécurité depuis 2011 montre qu’il s’agit là d’un travail de titan. Sur cette toile de fond, il est donc crucial d’attirer l’attention de l’opinion publique mondiale sur cette question d’avenir. Heureusement, la très grande majorité des 193 États membres des Nations Unies considèrent qu’inscrire le thème du climat et de la sécurité au menu du Conseil de sécurité est une mission importante.

Permettez-moi de citer un autre exemple : dans de nombreux conflits, le recours systématique à la violence sexuelle à l’égard des femmes, des jeunes filles mais aussi des jeunes garçons est une arme de guerre terrible. Lors de notre dernière présidence en avril 2019, nous avons réussi à adopter une résolution qui, pour la première fois, accorde une place centrale aux survivantes et aux survivants de tels crimes et ouvre la voie à une justice dans laquelle les auteurs devront aussi répondre de leurs actes.

Nous avons également systématiquement mis les violations des droits de l’homme à l’ordre du jour et initié le premier débat, au Conseil de sécurité, sur l’importance des droits de l’homme dans les missions de maintien de la paix. Cela fut une tâche difficile mais nous sommes convaincus de ceci : tout le monde doit respecter les droits de l’homme, et tout particulièrement les Nations Unies, qui interviennent dans de nombreuses régions de conflit et de post-conflit dans le cadre de leurs missions de maintien de la paix.

Par ailleurs, l’Allemagne a endossé des responsabilités particulières, au sein du Conseil de sécurité, dans des conflits persistants comme en Libye, en Syrie, en Afghanistan, au Soudan ou en Corée du Nord. À cet égard, une nouvelle mission politique, lancée conjointement par l’Allemagne et le Royaume-Uni, vient d’être adoptée, celle-ci étant destinée à accompagner le processus de transition politique fragile au Soudan. En Afghanistan, nous sommes également responsables, aux côtés de nos partenaires indonésiens, d’assurer la poursuite du soutien des Nations Unies au pays sur la base de la résolution sur la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA).

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À quelles ententes souhaiteriez-vous parvenir en matière de climat et de sécurité, et pourquoi ?

C. Heusgen : Notre objectif est de permettre aux Nations Unies d’être en mesure d’informer le Conseil de sécurité le plus rapidement possible de tensions liées au changement climatique et susceptibles de causer des conflits armés. C’est pourquoi nous avons remis le sujet à l’ordre du jour du Conseil de sécurité afin de créer une base pour le futur travail du Conseil sur le climat et la sécurité. Dans le cadre du débat de haut niveau, nos partenaires affinitaires, y compris à l’échelle des Nations Unies, ont pu formuler leurs attentes au Conseil de sécurité. Les résultats sont consignés dans un document de synthèse de la présidence au nom des dix pays affinitaires au Conseil de sécurité. Le débat sert ainsi également de point de référence pour l’avenir. De plus, un groupe d’experts informel des membres du Conseil de sécurité sur le climat et la sécurité est créé afin de faire le lien, au niveau des groupes de travail, avec le travail de fond régulier du Conseil de sécurité sur la question.

Quelle contribution apportez-vous personnellement ? Qu’avez-vous mis en place dans votre vie privée à New York pour protéger le climat ?

C. Heusgen : Prenons cet exemple : lorsque je me suis rendu l’année dernière dans une école publique du Bronx, dans le cadre d’un programme d’échange de la ville de New York, et que j’ai discuté de mon travail avec les jeunes, j’ai été très impressionné par l’enthousiasme manifesté par les élèves en particulier concernant l’engagement de l’Allemagne pour la protection climatique. Plaider en faveur de ce dossier, précisément auprès de la jeune génération, me tient tout particulièrement à cœur.

Dans ma vie privée, j’utilise autant que possible le vélo pour me déplacer dans Manhattan. Et en dépit de la chaleur parfois tropicale qui s’abat sur New York en été, l’on n’est pas non plus obligé de systématiquement allumer la climatisation.

L’Allemagne s’engage en faveur d’un ordre mondial fondé sur des règles. Qu’est-ce que cela signifie au juste ?

C. Heusgen : Le système international subit de fortes pressions de toutes parts comme l’illustrent l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Cour pénale internationale (CPI), l’Accord de Paris et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou encore le non-respect massif des droits de l’homme et l’accord sur le nucléaire iranien, sans oublier l’annexion de la Crimée. Nous ne pouvons pas accepter cela. Nous voulons que des organisations internationales comme les Nations Unies soient capables d’agir. Il nous importe que les règles fixées par tous de manière contraignante soient également respectées. C’est ce pour quoi nous nous engageons. C’est notre boussole en matière de politique étrangère. C’est aussi l’idée première de l’Alliance pour le multilatéralisme, lancée par le ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Mass de concert avec son homologue français et de nombreux États dans le monde.

Dans le dossier de l’aide humanitaire transfrontalière en Syrie, seul un compromis a pu être atteint au Conseil de sécurité, du fait de la résistance massive manifestée par la Russie et la Chine : il ne reste qu’un point de passage ouvert dans le nord du pays, qui permet l’approvisionnement de la population en biens humanitaires. Pourquoi n’a-t-il pas été possible d’obtenir davantage au terme des négociations ? Dans quelle mesure la résolution sur la Syrie a-t-elle été un pas en arrière dans le travail du Conseil de sécurité des Nations Unies ? Comment réussissez-vous à vous motiver, vous et votre équipe, après de telles journées ? 

C. Heusgen : Pour commencer, le résultat obtenu, à savoir la réduction à un seul point de passage, n’est pas le résultat que nous souhaitions avec la Belgique, co-rédactrice du projet de texte. Cela vaut également pour les onze autres membres du Conseil de sécurité qui nous ont soutenus durant les intenses négociations destinées à parvenir à un accès humanitaire aussi étendu que possible et qui ont toujours voté, à nos côtés, en faveur de la population syrienne.

Mais compte tenu du blocage sino-russe - la Russie avait très tôt signalé qu’elle ne soutiendrait probablement plus du tout le mécanisme de l’aide humanitaire transfrontalière -, le résultat n’était pas très surprenant.
Cela est extrêmement décevant, oui profondément décevant. Au Conseil de sécurité, j’ai souvent critiqué la Russie et la Chine d’agir uniquement par calcul politique dans un dossier humanitaire. Cela va à l’encontre de l’esprit de la Charte des Nations Unies et n’est pas non plus une bonne chose pour le Conseil de sécurité.

Dans le même temps, nous sommes soulagés de voir qu’au moins un point de passage, à savoir celui par lequel était déjà acheminée jusqu’ici la majorité de l’aide via la frontière avec la Turquie, a pu être maintenu pour une durée prolongée de 12 mois au lieu de 6. Cela non plus n’était pas du tout gagné d’avance. Nous nous sommes vaillamment battus durant des semaines, nous nous sommes fait conseiller par les organisations humanitaires des Nations Unies et nous sommes laissés guider par la situation sur place. Nous avons également pu empêcher que les conditions générales du personnel humanitaire ne se détériorent davantage.
Ce qui a motivé la petite équipe qui a travaillé sur ce dossier crucial ? La nature même de la mission, à savoir apporter une contribution permettant de sauver des vies.

Certains ont critiqué le Conseil de sécurité comme étant un « tigre édenté ». Partagez-vous cette analyse ? Selon vous, pourquoi et comment le Conseil pourrait-il être réformé ?

C. Heusgen : Le Conseil de sécurité devrait en effet être réformé, car sa composition actuelle ne reflète plus les réalités du monde. Si le Conseil de sécurité est important pour nous, nous devrions renforcer sa légitimité. Les 54 États africains, par exemple, n’ont pas de siège permanent. Mais aussi d’autres acteurs n’y sont pas adéquatement représentés. En tant que membre du groupe d’intérêt du G4, composé de l’Allemagne, du Brésil, du Japon et de l’Inde, nous cherchons à réformer le Conseil. Certains pays bloquent jusqu’ici ces efforts. Cependant, nous ne baisserons pas les bras.

La Chine fait également valoir ses intérêts de manière plus agressive. Outre la nouvelle loi sur la sécurité pour Hong Kong, elle étend son influence sans rencontrer de résistance, notamment en mer de Chine méridionale. Comment devrions-nous traiter cette grande puissance émergente ? Quelles options avons-nous sans avoir à tracer de lignes rouges ?

C. Heusgen : La Chine étend systématiquement son influence au sein du système des Nations Unies, notamment en occupant des postes clés. Dans certains domaines, par exemple les droits de l’homme, elle remet de plus en plus en question les principes multilatéraux établis. Il est inquiétant que la Chine vote de plus en plus du côté de la Russie contre des consensus internationaux comme celui visant à permettre le meilleur accès possible de l’assistance humanitaire destinée aux Syriens dans le besoin dans le nord du pays.

La tâche de l’Allemagne, au sein du Conseil de sécurité à New York et au-delà, est de convaincre les autres États qu’il est dans leur intérêt de renforcer le multilatéralisme et de respecter et promouvoir les droits de l’homme, même contre la pression de la Chine ou d’autres pays.

L’Allemagne aura-t-elle un « successeur » à qui transmettre ses dossiers ?

C. Heusgen : Deux partenaires européens particulièrement proches prennent la relève au sein du « groupe occidental » : l’Irlande, État membre de l’UE, et la Norvège, membre de l’OTAN et de Schengen. Nous pouvons passer le relais sans nous inquiéter, surtout sur des sujets comme le changement climatique et la sécurité, ou encore la participation des femmes, que l’Allemagne a fait progresser pendant son mandat en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité.

Vous êtes diplomate depuis 40 ans. Combien de fois avez-vous déménagé ? Qu’avez-vous appris récemment ?

C. Heusgen : Souvent ! Honnêtement, je ne pourrais même pas donner un chiffre exact. En ce qui concerne votre deuxième question, dans l’ensemble, j’ai pu apprendre beaucoup de choses au cours des décennies de ma carrière diplomatique. Travailler pour différents ministres des Affaires étrangères, pour le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et, en particulier, les douze années passées en tant que conseiller diplomatique de la chancelière fédérale ont été, bien sûr, des expériences importantes. En outre, être aujourd’hui ambassadeur de l’Allemagne auprès des Nations Unies à New York est quelque chose de très spécial. Le quotidien des Nations Unies, sur place, était initialement quelque chose de nouveau pour moi. J’ai pu assister à l’élection de l’Allemagne au Conseil de sécurité après une campagne réussie et je suis maintenant en mesure de représenter notre pays ici.

Comment la diplomatie a-t-elle évolué au fil des décennies ? Quel chemin prend-elle ?

C. Heusgen : La diplomatie est devenue plus rapide. L’évolution des technologies de communication au cours de cette période a fait progresser considérablement la diplomatie.

Et puis la présence des femmes dans la diplomatie a, heureusement, augmenté. Mais nous devons en arriver à promouvoir le potentiel des hommes et des femmes de manière égale, à tous les niveaux, en particulier aux postes de direction. Les premiers pas ont été faits, mais nous sommes encore loin d’avoir atteint l’objectif.

Les fausses nouvelles et la désinformation ne sont pas des phénomènes nouveaux. En tant que diplomate ayant de nombreuses années d’expérience, comment voyez-vous la situation actuelle ? A-t-elle une nouvelle qualité ?

C. Heusgen : Vous l’avez dit. Il y a toujours eu des tentatives de diffusion de fausses nouvelles et de désinformation. Ce qui est nouveau, c’est que les médias sociaux ont beaucoup augmenté et diversifié les moyens de diffusion. Contrer la désinformation n’est donc pas devenu plus facile. Heureusement, les efforts pour y parvenir sont tout aussi intenses. Récemment, les Nations Unies ont lancé une initiative intitulée « Vérifié ». En particulier en cette période de pandémie de Covid-19, il est crucial de fournir à la population des sources d’information claires, fiables et dignes de confiance.

Permettez-moi de citer un autre exemple. La Russie et la Chine, en particulier, répandent régulièrement la fausse information selon laquelle les sanctions de l’UE et du Conseil de sécurité sont (co)responsables de crises humanitaires dans le monde entier. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut laisser sans réponse et surtout sans correction. L’Allemagne est le deuxième plus grand fournisseur d’aide humanitaire au monde. Les sanctions de l’UE sont ciblées. Elles visent, par exemple, spécifiquement des individus du régime de Bachar Al-Assad en Syrie qui sont responsables de la mort et de la souffrance de milliers de personnes. Les biens humanitaires sont exemptés des sanctions de l’UE, et nous mettons tout en œuvre pour que cette aide parvienne aux populations sur le terrain. Pour contrer cette désinformation, l’UE a récemment lancé une campagne d’information dans plusieurs langues, dont le russe. Je crois que ce travail est extrêmement important.

Avez-vous des conseils de négociation à donner aux futurs diplomates ?

C. Heusgen : Écoutez et ne rompez jamais le dialogue. Adoptez des positions claires et défendez-les, utilisez des mots clairs. Et surtout, restez toujours curieux et ouverts d’esprit.

Christoph Heusgen est ambassadeur et représentant permanent de la République fédérale d’Allemagne auprès des Nations Unies à New York depuis juillet 2017. Il est membre du ministère fédéral des Affaires étrangères depuis 1980 et a occupé divers postes dans le monde entier, notamment à Chicago, Paris et Bruxelles. De 2005 à 2017, il a été conseiller diplomatique d’Angela Merkel à la Chancellerie fédérale.

En savoir plus :
Coopération franco-allemande au Conseil de sécurité des Nations Unies
Mission permanente de la République fédérale d’Allemagne auprès des Nations Unies (en angl.)
Association allemande pour les Nations Unies (en angl.)