Discours de la Chancelière fédérale Angela Merkel à l’occasion de la cérémonie du centenaire de la bataille de Verdun à la nécropole nationale de Douaumont

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Monsieur le Président, cher François Hollande,
Mesdames, Messieurs les présidents de région et ministres-présidents, Éminences et Messieurs les représentants des communautés juive et musulmane,
Monsieur le Président du Parlement européen,
Monsieur le Président de la Commission européenne,
Mesdames, Messieurs,
et notamment chers jeunes invités,

Le lieutenant français Alfred Joubaire était à peine plus âgé que vous lorsque, il y a cent ans, il était couché non loin d’ici au fond d’une tranchée. À son journal il a confié que « même l’enfer ne peut être aussi horrible ». Ces mots étaient une tentative d’exprimer l’atrocité de la guerre, la tentative d’un jeune homme qui avait normalement toute la vie devant lui. Et pourtant, peu de temps après, Alfred Joubaire était mort. Il est l’une des innombrables victimes de Verdun.

Derrière nous se trouve l’ossuaire qui abrite les dépouilles de plus de 100 000 soldats inconnus. Nous sommes entourés d’une mer de tombes. Aujourd’hui encore reposent ici les ossements de jeunes Français et de jeunes Allemands spoliés de leur vie. Tout le paysage reste marqué par les combats qui s’y sont déroulés. Nous ressentons ici le poids oppressant de l’Histoire. Verdun ne nous laisse pas tranquilles. Verdun ne peut pas et ne doit pas nous laisser tranquilles. Verdun est le symbole même de l’atrocité et de l’absurdité de la guerre.

Mais Verdun est aussi un symbole de la soif de paix, de la fin de l’inimitié et de la réconciliation franco-allemande. Même au plus fort des combats, il y a eu de beaux gestes d’humanité. Wilhelm Ritter von Schramm a vu à Verdun des soldats allemands et français se faire des signes et s’échanger des provisions - je cite : « Les Français étaient plus généreux que nous. Il nous ont donné avant tout ce qui pour nous était vital, de l’eau. Telle était alors l’ampleur de la fraternisation, la première fraternisation que j’ai vécue, même si elle ne figure dans aucun carnet de guerre car nous nous gardions bien de la dévoiler. » Rien ne pourrait mieux illustrer l’absurdité de la guerre non seulement parce que même dans un enfer, l’enfer des champs de Verdun, l’humanité ne peut jamais complètement disparaître, mais parce que la guerre est possible même lorsque la plupart la refusent de tout leur être. Nous devrions toujours en être conscients afin de rester vigilants et de réagir dès les premiers signes.

Après la Première Guerre mondiale, des efforts ont certes été accomplis afin d’établir une coexistence pacifique aussi durable que possible en Europe. Aristide Briand et Gustav Stresemann, alors ministres des affaires étrangères, ont même reçu en 1926 le prix Nobel de la paix pour leur engagement. Et pourtant, la voix de la raison et de l’entente était encore trop faible pour se faire entendre longtemps. Nous ne connaissons tous que trop bien les années sombres qui devaient suivre. L’Allemagne national-socialiste a fait déferler sur l’Europe une souffrance indicible.

Après la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, il était pour ainsi dire miraculeux que le traité de l’Élysée en 1963 ouvre la voie au rapprochement et à la réconciliation. Le lien de confiance que le président Charles de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer ont tissé est pour nous un héritage on ne peut plus précieux. Plus de deux décennies plus tard, le président François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl se tenaient à Verdun face aux tombes, main dans la main. Ce geste en dit plus long que n’importe quel mot. Il était et demeure un témoignage d’une profonde communion.

De même, nous commémorons aujourd’hui ensemble tous ceux qui sont morts à Verdun. Tous sans distinction ont été victimes d’une vision bornée et du nationalisme, de l’aveuglement et de l’échec politique. C’est avant tout en gardant toujours à l’esprit les leçons que l’Europe a tirées des catastrophes du XXe siècle que nous honorons la mémoire des victimes. Savoir et vouloir reconnaître combien il est vital de ne pas nous replier sur nous-mêmes mais d’être ouverts aux autres, voilà ce que nous avons appris.

Il est possible effectivement que cela demande des efforts parfois d’aller les uns vers les autres et de se mettre à la place des autres. Mais c’est seulement en s’ouvrant les uns aux autres que l’on peut apprendre et s’enrichir des expériences mutuelles. C’est cela la clé de la réussite de l’Europe. Nous le ressentons précisément en cette période où nous faisons également l’expérience des faiblesses de notre communauté. Et pourtant, les défis du XXIe siècle ne peuvent être surmontés qu’ensemble.

En unifiant l’Europe, nous avons laissé derrière nous les fossés de l’inimitié. Nous sommes parvenus à instaurer la paix et la prospérité. Nous avons géré maintes crises au cours desquelles nous avons eu à craindre pour l’œuvre d’union à laquelle nous devons tant. Le président François Hollande a dit dernièrement, peu après le Conseil des ministres franco-allemand, que nous avions toujours réussi à surmonter les obstacles. C’est la raison pour laquelle, malgré tous les efforts que nous devons faire et tous les revers que nous avons essuyés, nous restons confiants dans l’avenir.

Dans l’Union européenne, il nous arrivera toujours d’avoir des points de vue différents sur certaines questions, c’est dans la nature des choses. Mais au bout du compte, notre aptitude à trouver des compromis, à nous mettre d’accord nous sera toujours profitable à tous. Penser et agir uniquement dans un registre national nous rejetterait vers le passé. Nous ne pourrions pas défendre ainsi nos valeurs ni à l’intérieur ni à l’extérieur. Cela vaut pour la gestion de la crise de la dette souveraine en Europe et pour l’accueil des nombreuses personnes qui cherchent refuge chez nous, mais aussi pour tous les autres grands défis de notre époque.

Il nous appartient de prouver chaque jour notre attachement commun aux valeurs fondamentales que sont la liberté, la démocratie et l’État de droit, valeurs que la France et l’Allemagne défendent en vertu de la responsabilité particulière qui est la leur au cœur de l’Europe. Des soldats allemands et français travaillent côte à côte à l’OTAN. Ils interviennent également ensemble au Mali, en Méditerranée et au sein de la coalition internationale contre l’organisation terroriste État islamique. La Brigade franco-allemande, qui accompagne également ces commémorations, incarne notre coopération étroite et confiante.

Mesdames, Messieurs, pendant la bataille de Verdun, il a semblé que le cœur de l’Europe allait cesser de battre. Alors, aujourd’hui n’avons-nous pas toutes les raisons de nous réjouir du fond du cœur de voir, sur cet ancien champ de bataille, se retrouver en particulier de nombreux jeunes gens de France et d’Allemagne et opposer à l’inimitié passée l’amitié d’aujourd’hui entre nos pays ? Ce site est un lieu de mémoire et aussi d’espoir pour un bel avenir commun.

Cher François Hollande, je tiens à vous remercier de tout cœur de m’avoir invitée à cette commémoration commune. L’invitation de la République française à se recueillir ensemble en ce lieu historique et emblématique est un geste qui nous touche beaucoup en Allemagne. Trois drapeaux flottent désormais ici : le drapeau tricolore, le drapeau allemand et notre drapeau européen. Plus aucune tranchée ne nous sépare. C’est en amis que nous commémorons ensemble le passé et forgeons ensemble notre avenir. Car nous sommes aujourd’hui unis pour le meilleur. Espérons qu’il en restera ainsi.

Je vous remercie.