Le chancelier fédéral Olaf Scholz à l’université Charles de Prague
Le changement d’époque dont a parlé le chancelier fédéral Olaf Scholz après l’invasion de l’Ukraine par la Russie a des conséquences considérables pour l’Europe et l’Union européenne. Dans un discours prononcé à l’université Charles de Prague, le chancelier fédéral les a identifiées et a décrit les exigences posées à l’Europe de demain : une Union européenne géopolitique.
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Le changement d’époque dont a parlé le chancelier fédéral Olaf Scholz après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a des conséquences considérables pour l’Europe et l’Union européenne. Initialement un projet de paix tourné vers l’intérieur, l’UE doit désormais défendre ses valeurs et assurer son indépendance et sa stabilité également vis-à-vis de l’extérieur.
« Nous n’acceptons pas l’attaque de la Russie contre la paix en Europe. Nous ne resterons pas les bras croisés à regarder des femmes, des hommes et des enfants se faire tuer ou des pays libres être rayés de la carte », a déclaré le chancelier fédéral dans son discours à l’université Charles de Prague. « Notre Europe est unie dans la paix et la liberté. Elle est ouverte à toutes les nations européennes qui partagent nos valeurs. Mais surtout, elle rejette activement l’impérialisme et l’autocratie », a poursuivi M. Scholz. C’est pourquoi l’Europe et l’Allemagne continueront à soutenir l’Ukraine assaillie : sur les plans économique, financier, politique, humanitaire et aussi militaire, « et surtout : aussi longtemps qu’il le faudra », a ajouté le chancelier.
Dans son discours de Prague, M. Scholz a cité quatre domaines qui, selon lui, sont essentiels à une Union européenne géopolitique. Car l’Europe est aujourd’hui mise au défi comme jamais auparavant.
Premièrement : une Europe élargie et réformée
« Je suis favorable à l’élargissement de l’Union européenne, pour inclure les États des Balkans occidentaux, l’Ukraine, le Moldova et, à terme, la Géorgie », a déclaré d’emblée le chancelier. L’élargissement de l’UE est nécessaire pour assurer la stabilité au sein de l’Europe et pour protéger les valeurs communes, a-t-il ajouté.
En juin, le Conseil européen a décidé d’accorder le statut de pays candidat à l’Ukraine et au Moldova et a fait entrevoir cette possibilité à la Géorgie. Ces paroles doivent maintenant être suivies d’actes, a insisté le chancelier. Les pays candidats méritent d’être soutenus de manière résolue sur la voie de l’adhésion. Les États des Balkans occidentaux attendent en effet l’adhésion depuis près de 20 ans.
Une Union européenne élargie à 30 ou 36 États membres devra également améliorer ses structures décisionnelles pour préserver sa capacité d’action. « Là où l’unanimité est requise, le risque qu’un pays utilise son droit de veto et entrave la volonté de tous les autres augmentera avec chaque nouvel État membre », a déclaré le chancelier.
Outre un recours accru au vote à la majorité plutôt qu’à l’unanimité au sein du Conseil, M. Scholz a préconisé un nouvel équilibre pour la composition du Parlement européen, avec une Commission qui continuerait à comprendre un commissaire par État membre, mais qui s’organiserait plus efficacement sur le plan interne.
Deuxièmement : une Europe plus souveraine
Cela est devenu évident avec la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine : l’Europe doit devenir plus indépendante et plus forte. Dans son discours, le chancelier a donc appelé à mettre fin au plus vite aux dépendances unilatérales. En développant des relations commerciales à l’échelle mondiale, des relations d’approvisionnement diversifiées et une véritable économie circulaire européenne, l’Europe peut parvenir à la souveraineté requise, selon M. Scholz.
Le chancelier s’est prononcé en faveur d’une Europe sûre d’elle, qui soit pionnière en matière de technologies clés importantes, par exemple dans la production de puces électroniques ou dans le domaine de la mobilité. Concrètement, M. Scholz a proposé une « stratégie Made in Europe 2030 ». Face à la Silicon Valley ou aux fournisseurs chinois et japonais, l’Europe doit « se battre pour retrouver sa place de leader ». De nombreuses matières premières comme le lithium, le cobalt ou le nickel sont disponibles en Europe, a-t-il rappelé. La neutralité climatique doit en outre rester une priorité jusqu’en 2050, selon le chancelier. Pour cela, il faut mettre en place un marché intérieur de l’énergie, un réseau européen d’hydrogène, une infrastructure de recharge pour les voitures et les camions et investir dans un transport aérien respectueux du climat, a-t-il proposé.
Un changement d’époque, un signal de réveil en politique étrangère
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, le chancelier a appelé à « une meilleure synergie en Europe en ce qui concerne nos capacités de défense ». Si l’OTAN reste « le garant de notre sécurité », il convient néanmoins de renforcer les structures de l’UE dans les domaines de la politique étrangère, de la sécurité et de la défense. Pour cela, le chancelier estime que des réunions du Conseil européen en tant que Conseil de sécurité européen, un Conseil autonome des ministres de la Défense de l’UE et une force de réaction rapide de l’UE d’ici 2025 avec un quartier général européen entièrement équipé sont nécessaires.
M. Scholz voit un retard considérable à combler, notamment dans le domaine de la défense aérienne : un système de défense aérienne développé conjointement en Europe serait à ses yeux « un gain de sécurité pour l’Europe dans son ensemble ».
Troisièmement : surmonter les anciens conflits, oser de nouvelles solutions
À Prague, le chancelier a appelé l’UE à se montrer encore plus unie en surmontant les anciens conflits et en trouvant de nouvelles solutions. La politique migratoire et la politique financière sont des domaines essentiels qui illustrent cette nécessité, selon le chancelier. Ainsi, l’Europe étant un pôle d’attraction pour de nombreuses personnes dans le monde, il faut une politique migratoire réaliste et prévoyante. Cela implique un système d’asile juste et résistant aux crises, avec une protection des frontières extérieures efficace et conforme à l’état de droit.
La migration légale des travailleurs doit être encouragée, la migration irrégulière doit être freinée. Les pays tiers qui coopèrent en matière de réadmission devraient en contrepartie se voir offrir des voies de migration légale ; les demandeurs d’asile reconnus devraient pouvoir chercher du travail dans d’autres États membres bien plus tôt qu’aujourd’hui. Parallèlement, les abus doivent être efficacement prévenus.
M. Scholz a également plaidé pour l’admission de la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie en tant que membres à part entière de l’espace Schengen, afin de compléter et de renforcer cet espace sans frontières.
L’UE a fait preuve d’une grande solidarité financière lors de la pandémie de coronavirus, mais a en même temps laissé augmenter le niveau d’endettement, a rappelé le chancelier. Dans le cadre de la discussion nécessaire sur la réduction de la dette, il est important d’adopter une approche réaliste qui ne perde pas de vue que des investissements de transformation essentiels sont possibles. Le chancelier a donc proposé que les règles budgétaires de l’UE soient développées ensemble dans ce sens.
Quatrièmement : défendre les valeurs de l’Europe, respecter l’État de droit
Pour conclure, M. Scholz a fait référence dans son discours aux valeurs de l’Europe, qui en sont le fondement et qui doivent être protégées. En particulier l’état de droit est « une valeur fondamentale qui devrait lier notre union », a déclaré le chancelier. Il a clairement indiqué qu’à l’avenir, la Commission devrait également pouvoir engager des procédures d’infraction en cas de violation des valeurs fondamentales de l’UE, que les possibilités de blocage du processus de l’article 7 du Traité de l’Union européenne devraient être supprimées et que les financements dans l’UE devraient être liés au respect des normes de l’État de droit.
Car, selon le chancelier, « Ce changement d’époque devrait inciter la politique européenne à chercher à construire des ponts plutôt qu’à creuser des tranchées. (...) Les citoyens attendent des choses très concrètes de l’UE : une accélération de l’action en faveur du climat, une alimentation saine, des chaînes d’approvisionnement plus fiables et une meilleure protection des travailleurs. En bref, ils attendent la "solidarité de fait". »