Discours de Monsieur Olaf Scholz, Chancelier de la République fédérale d’Allemagne, devant l’Assemblée générale des Nations Unies 
New York, le 20 septembre 2022

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Discours de Monsieur Olaf Scholz, Chancelier de la République fédérale d’Allemagne, devant l’Assemblée générale des Nations Unies 
New York, le 20 septembre 2022

Le mardi 20 septembre 2022 à New York

Monsieur le Président,
Chères et chers collègues délégués, 
Mesdames, Messieurs,

C’est avec humilité et un profond respect que je m’adresse à vous, en qualité de nouveau chancelier d’Allemagne et comme fier délégué à nos Nations Unies. Mon pays et les Nations Unies sont indissociablement liés. Son rôle sur la scène internationale, c’est à vous, nos amis et partenaires internationaux, que l’Allemagne démocratique et unifiée d’aujourd’hui le doit. Vous nous avez fait confiance pour que nous devenions et restions un membre épris de paix de la communauté internationale.

Nous savons que nous devons notre liberté, notre stabilité, notre prospérité à un ordre international centré sur les Nations Unies. C’est pourquoi l’attachement de mon pays à cette organisation et à ses nobles objectifs – la paix, le développement et des droits égaux ainsi que la dignité pour chaque être humain – ne disparaîtra jamais.

Je formule cet attachement malheureusement à un moment où nous nous éloignons de ces nobles objectifs. Après des décennies où nous avons surmonté des murs et des blocs – une période au cours de laquelle le rideau de fer est tombé et la réunification allemande devenue réalité –, après la révolution technologique de l’Internet et la transformation numérique qui nous ont plus étroitement connectés que jamais, nous faisons face aujourd’hui à une nouvelle fragmentation du monde. De nouvelles guerres et de nouveaux conflits ont éclaté. De grandes crises mondiales se dressent devant nous, se superposent et se renforcent. D’aucuns y voient les signes annonciateurs d’un monde sans règles.

Les risques qui pèsent sur notre ordre international existent bel et bien en réalité. Pour moi, l’image d’un monde sans règles n’est pourtant pas très parlante, et ce, pour deux raisons : premièrement, notre monde est doté de règles claires, des règles que nous avons établies ensemble, en tant que Nations Unies. La charte des Nations Unies nous promet à tous la liberté et un vivre-ensemble pacifique. Cette charte, c’est notre refus collectif d’un monde sans règles. Notre problème, ce n’est pas l’absence de règles. Notre problème, c’est le manque de volonté de les respecter et de les faire appliquer. 

Mais il y a une seconde raison pour laquelle l’image d’un monde sans règles est trompeuse. Si nous ne défendons pas, ne développons pas et ne renforçons pas, ensemble, notre ordre international, ce n’est pas un chaos sans règles qui nous menace, mais plutôt un monde dans lequel les règles seront faites par ceux qui sont en position de nous les dicter de par leur puissance militaire, économique ou politique. Au lieu du monde fondé sur des règles, l’autre possibilité, ce n’est pas l’anarchie mais la domination des plus forts sur les plus faibles !

Que le monde soit dominé par le droit du pouvoir ou par le pouvoir du droit n’est pas quelque chose qui puisse laisser indifférents la plupart d’entre nous. 

La question clé qui se pose à nous en tant que communauté internationale est la suivante : allons-nous regarder en spectateurs impuissants ceux qui cherchent à nous refaire basculer dans un ordre international où la guerre est un instrument courant de la politique, où les nations indépendantes doivent plier devant leurs voisins plus forts ou leurs maîtres coloniaux, où la prospérité et les droits de l’homme sont réservés à quelques privilégiés ? Ou bien réussirons-nous, en unissant nos forces, à faire en sorte que le monde multipolaire du 21e siècle demeure un monde multilatéral ?

Nous devons y parvenir ! Telle est ma réponse, en tant qu’Allemand et Européen. Et il ne fait aucun doute que nous y parviendrons si nous respectons trois principes fondamentaux.

Premièrement, l’ordre international ne se construit pas tout seul. Si nous n’agissons pas, cette charte restera lettre morte. Or cette charte est un appel lancé à nous tous pour que nous fassions respecter ses buts et ses principes. C’est pourquoi nous n’avons pas le droit de rester les bras croisés quand une grande puissance nucléaire fortement armée – et, de plus, membre fondateur des Nations Unies et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies – cherche à déplacer des frontières par la force. Rien ne saurait justifier la guerre de conquête menée par la Russie contre l’Ukraine. Le président Vladimir Poutine mène cette guerre dans un seul but : s’approprier l’Ukraine. L’autodétermination et l’indépendance politique ne comptent pas pour lui.

Il n’y a qu’un mot pour qualifier cette conduite : c’est du pur impérialisme ! Le retour de l’impérialisme n’est pas seulement un désastre pour l’Europe. Cela constitue également un désastre pour notre ordre de paix mondial, l’antithèse de l’impérialisme et du néocolonialisme. C’est pourquoi il est si important que 141 pays aient condamné sans équivoque, dans cette salle, la guerre de conquête russe.

Cela ne suffit pas pour autant ! Si nous voulons que cette guerre se termine, nous ne pouvons pas être indifférents à la manière dont elle prendra fin. Vladimir Poutine ne renoncera à sa guerre et à ses ambitions impérialistes que lorsqu’il comprendra ceci : cette guerre, il ne peut la gagner ! Ce n’est pas uniquement l’Ukraine qu’il détruit en agissant ainsi, c’est aussi son propre pays qu’il ruine. C’est pourquoi nous n’accepterons pas une paix dictée par la Russie, pas plus que de pseudo-référendums. Et c’est pourquoi l’Ukraine doit pouvoir se défendre contre l’agression russe.

Nous la soutenons donc de toutes nos forces : dans les domaines financier, économique et humanitaire, mais aussi en lui fournissant des armes. Avec nos partenaires du monde entier, nous avons adopté de dures sanctions économiques contre les dirigeants et l’économie russes. C’est ainsi que nous tenons la promesse que chacun de nos pays a donnée en adhérant aux Nations Unies, à savoir « unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales ».

Je voudrais y ajouter ceci : pas un seul sac de céréales n’a été retenu à cause de ces sanctions. C’est la Russie elle-même qui a empêché le départ des bateaux ukrainiens transportant des céréales, bombardé des ports et détruit des exploitations agricoles.

« Qui veut bannir la guerre doit bannir la faim. » C’est ce que disait en 1973, devant cette même assemblée, mon prédécesseur Willy Brandt, Prix Nobel de la paix et le premier chancelier allemand à prendre la parole dans cette enceinte. Aujourd’hui, nous nous apercevons que c’est également vrai dans le sens inverse. Qui veut bannir la faim doit bannir la guerre menée par la Russie, cette guerre qui entraîne également dans des pays situés loin de la Russie une hausse des prix, une pénurie d’énergie et la famine.

La reprise des exportations de céréales que l’on doit à la médiation du secrétaire général des Nations Unies António Guterres et de la Turquie mérite un grand respect. L’Allemagne apporte également son soutien à l’Ukraine pour le transport de denrées alimentaires. En outre, nous aiderons l’Ukraine à assumer les coûts énormes de la reconstruction du pays. Lors d’une conférence d’experts internationale que nous organisons, Madame la présidente de la Commission européenne et moi-même, le 25 octobre à Berlin, nous réfléchirons de concert avec les soutiens de l’Ukraine du monde entier à la manière de réussir cette mission générationnelle. Voici notre message : nous sommes aux côtés de la cible de l’agression. Pour protéger la vie et la liberté des Ukrainiennes et des Ukrainiens, et pour protéger notre ordre international !

Le deuxième principe nécessaire pour maintenir cet ordre est que tous, nous devons accepter d’être jugés sur la base des engagements que nous avons pris ensemble. Car la responsabilité commence toujours par soi-même. Prenons par exemple le changement climatique, le plus grand défi de notre génération. À cet égard, nous portons, nous les pays industrialisés et gros émetteurs de gaz à effet de serre, une responsabilité toute particulière. C’est pourquoi, lors du sommet du G7 au mois de juin dernier en Allemagne, nous avons réaffirmé vouloir avancer dans la protection du climat pour atteindre l’objectif de 1,5 °C. Non pas en dépit de la guerre et de la crise de l’énergie, mais justement parce que la neutralité climatique représente aussi une plus grande sécurité énergétique.

Nous tenons nos engagements visant à aider les pays émergents et les pays en développement à réduire leurs émissions et à s’adapter au changement climatique. Par exemple par de nouveaux partenariats pour une transition énergétique juste. Et nous n’abandonnerons pas non plus les pays qui sont les plus durement touchés par les pertes et les dégâts en lien avec le changement climatique. D’ici la conférence sur le climat prévue en Égypte, nous voulons pour cette raison élaborer un plan de sauvetage mondial contre les risques climatiques. Nous devons évaluer notre action par rapport à nos promesses.

La protection des droits de l’homme me semble illustrer cette idée mieux que tout autre domaine. Car le besoin profond que ressent chacun d’entre nous de vivre librement, dans l’intégrité et la dignité s’y reflète. C’est l’essence de ce qui fait de nous des hommes et nous unit, quel que soit l’endroit dont nous venons, ce à quoi nous croyons, qui nous aimons. En disant cela, je pense à l’histoire de mon pays. L’Allemagne qui, en assassinant six millions de Juifs, a commis une rupture de civilisation sans égale sait à quel point notre civilisation est fragile. En même temps, nous avons le devoir de respecter et de défendre les droits de l’homme partout et à chaque instant.

Mon pays est le deuxième donateur du système des Nations Unies, ainsi que le deuxième donateur d’aide humanitaire. Ces dernières années, nous avons accueilli des millions de réfugiés venus du Proche-Orient, d’Afrique, d’Afghanistan et tout récemment d’Ukraine. Nous en sommes fiers. 

Mais nous devons également regarder et agir là où des centaines de milliers de personnes enfermées dans des camps d’internement ou des prisons doivent endurer la souffrance, des décisions arbitraires et la torture comme en Corée du Nord, en Syrie, en Iran ou au Bélarus. Nous devons regarder et agir lorsque les talibans privent en Afghanistan les femmes et les jeunes filles de leurs droits les plus élémentaires. Et nous devons regarder et agir lorsque la Russie commet des crimes de guerre à Marioupol, à Boutcha ou à Irpin. Les meurtriers doivent rendre compte de leurs actes. Nous soutenons pour cela de toutes nos forces la Cour pénale internationale et la commission d’enquête indépendante mise en place par le Conseil des droits de l’homme. 

Soutenir nos institutions communes, cela devrait intéresser tout particulièrement ceux qui, en raison de leur force et de leur influence, portent une responsabilité particulière pour l’ordre du monde. Il y a quelques semaines, l’ancienne Haute-Commissaire aux droits de l’homme nous faisait un rapport sur la situation des Ouïghours dans la province du Xinjiang. La Chine devrait appliquer ses recommandations. Ce serait un signe de souveraineté et de force, et le garant d’un changement pour le meilleur.

Il faut encore ajouter un troisième principe pour préserver l’ordre international. Nous devons adapter nos règles et nos institutions aux réalités du 21e siècle. Elles reflètent en effet bien trop souvent le monde d’il y a 30, 50 ou 70 ans. Cela vaut également pour le Conseil de sécurité des Nations Unies. Depuis des années, l’Allemagne s’engage pour sa réforme et son élargissement, en particulier aux pays du Sud. L’Allemagne est prête elle aussi à prendre de plus grandes responsabilités, en tant que membre permanent et, dans un premier temps, comme membre non permanent en 2027-2028. Je vous demande de bien vouloir soutenir notre candidature, la candidature d’un pays qui respecte les principes des Nations Unies et qui propose et recherche la coopération.

Il est tout à fait évident à mes yeux que les pays et régions émergents et dynamiques d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud doivent obtenir un droit de participation politique accrue sur la scène mondiale. C’est dans notre intérêt à tous ! Car il en résulte une responsabilité commune et un plus grand degré d’acceptation de nos décisions. Ce ne sont ni le nationalisme ni l’isolement qui résoudront les problèmes de notre époque. Renforcer la coopération, le partenariat et la participation, voilà la seule réponse raisonnable, qu’il s’agisse de la lutte contre le changement climatique ou les grandes crises sanitaires, de l’inflation ou des chaînes commerciales perturbées ou encore de notre comportement face aux migrants et aux réfugiés.

J’en suis absolument convaincu, car si nous avons connu ces dernières décennies la période la plus heureuse qu’ait jamais connue mon pays, c’est bien parce que l’on a compris que l’ouverture et la coopération garantissent la paix et la prospérité.

En tant que président du G7 cette année, j’avais donc à cœur d’œuvrer pour un nouveau type de coopération avec les pays du Sud. Une coopération qui non seulement affirme s’effectuer sur un pied d’égalité mais y veille. D’autant que cette position d’égal à égal existe de fait depuis longtemps si l’on considère le poids politique, économique et démographique croissant de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique du Sud.

Dès le départ, nous avons coordonné très étroitement nos objectifs avec l’Indonésie, présidente du G20. Nous avons fait participer les pays présidant l’Union africaine et la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes à nos consultations au sein du G7, de même que l’Inde et l’Afrique du Sud. Cela a débouché sur de nouveaux modèles de coopération mondiale qui ont ceci en commun : ils portent le sceau de la responsabilité partagée et de la solidarité mutuelle.

Grâce à une nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire mondiale, nous luttons contre la crise de la faim et je vous invite tous à rejoindre cette alliance. Nous avons instauré un partenariat pour les infrastructures mondiales et l’investissement afin de mobiliser ensemble, dans les cinq prochaines années, 600 milliards de dollars pour des investissements infrastructurels publics et privés dans le monde entier. Nous accomplissons ainsi un grand pas également dans la mise en œuvre du Programme du développement durable à l’horizon 2030. Et grâce à un nouveau Club climat, nous progressons avec des amis et des partenaires du monde entier afin d’appliquer encore plus rapidement et efficacement l’accord de Paris sur le climat. De telles initiatives constituent des piliers porteurs de notre ordre international. Et ce, parce qu’elles fournissent des résultats qui profitent aux citoyennes et aux citoyens de tous nos pays, des résultats que ces citoyennes et ces citoyens attendent des Nations Unies.

« Nous, peuples des Nations Unies » – ce n’est pas un hasard si notre charte commence par ces mots et non pas par « Nous, États membres » ou par « Nous, délégués ». Nous sommes responsables devant nos peuples. Nous leur devons un ordre international qui leur permette de vivre en paix, protège leurs droits et leur donne des perspectives en termes d’éducation, de santé et de développement personnel. Un tel ordre ne se construit pas tout seul. Le défendre, le développer et le renforcer, c’est là notre mission en tant que Nations Unies. Dans cet esprit, l’Allemagne vous tend la main à tous.

Je vous remercie.
 

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