Discours de la Chancelière fédérale Angela Merkel à l’occasion de la remise du bâtiment pour la paix et la sécurité à la Commission de l’Union africaine

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Madame la Présidente de la Commission, chère Nkosazana Dlamini Zuma,
Monsieur le Premier Ministre, cher Hailemariam Dessalegn,
Mesdames et Messieurs les Commissaires, Monsieur le Commissaire Chergui,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,

C’est un plaisir pour moi que d’être parmi vous aujourd’hui et de pouvoir saluer dans cette salle les représentants des cinquante-quatre États membres de l’Union africaine ainsi que ses Commissaires.

Le partenariat entre l’Afrique et l’Allemagne est bâti sur des intérêts communs, mais il est surtout fondé sur d’innombrables contacts, aussi bien au niveau des gouvernements qu’entre nos sociétés civiles, nos entreprises, les églises et les organisations confessionnelles. Notre coopération est marquée par nos efforts communs en faveur d’un développement économique durable, de l’éducation, d’une bonne gouvernance, de la paix et de la sécurité.

Le bâtiment que voici est la preuve matérielle que notre partenariat prend bel et bien forme, au sens propre du mot. Je me réjouis que nous puissions inaugurer ensemble le nouveau siège de la Commission de l’Union africaine, le bâtiment Julius Nyerere pour la paix et la sécurité. L’architecture de cet édifice unit traditions locales et technologie allemande, ce qui en fait un symbole des longues et solides relations entre l’Union africaine et la République fédérale d’Allemagne.

L’Union africaine agit à l’intérieur comme à l’extérieur. Depuis sa fondation, elle s’engage en faveur de la solidarité et de la cohésion entre les États et les peuples africains. Le nom de Julius Nyerere témoigne de cette aspiration. De même, l’Union africaine donne un poids international aux intérêts de l’ensemble du continent, tout en étant leur porte-parole.

Il y a beaucoup de bonnes raisons pour cela. En effet, face à la progression de la mondialisation et de l’interconnexion de notre planète, de plus en plus de pays doivent affronter les mêmes défis. Rares sont les évolutions, positives et négatives, qui concernent uniquement des pays isolés ; elles ont bien plus souvent des répercussions sur tout le voisinage, même au-delà des régions et des continents. Prenons par exemple la crise économique et financière, les épidémies comme celle de l’Ebola, les activités terroristes ou encore les phénomènes d’exode et d’expulsion. Une communauté internationale est nettement mieux capable de faire face à de tels défis qu’un État seul et livré à lui-même. Je suis donc profondément convaincue que les questions globales nécessitent des réponses globales, elles aussi.

Le rôle de l’Afrique, le continent que vous représentez, ne cesse de prendre de l’ampleur sur la scène internationale. Il importe donc que les pays africains unissent leurs voix afin d’articuler leurs intérêts communs par le biais de l’interlocuteur respecté qu’est l’Union africaine.

Madame Zuma, il n’est pas toujours facile de trouver une unité. Je le sais bien puisque notre travail au sein de l’Union européenne connaît, ce n’est pas un secret, les mêmes difficultés, bien que nous ne comptions que vingt-huit et non cinquante-quatre États membres. Ce qui importe, c’est d’être disposé et apte à trouver et à accepter des compromis qui priment les intérêts individuels tout en les reflétant et qui, en fin de compte, se fassent l’écho de la volonté et des intentions d’un continent tout entier.

En même temps, les décisions que nous devons prendre reposent sur des valeurs fondamentales, les droits de l’homme, la participation politique et économique et la bonne gouvernance. La dignité humaine est indivisible. Notre première préoccupation doit être de répondre à cette exigence, sur le plan politique également. Chaque atteinte à la dignité humaine, où qu’elle se produise, présente un défi pour nous tous.

Horst Köhler, l’ancien Président de la République fédérale d’Allemagne, l’a bien décrit dans son discours devant l’Union africaine en 2004. Il évoque le fait d’accepter le caractère propre à chaque région du monde, sans pour autant tolérer « que ce caractère propre serve de prétexte à l’inaction ou de passe-droit à l’injustice ou à la maltraitance des Africains eux-mêmes. » Horst Köhler parle alors d’un « engagement cosmopolite » à dénoncer explicitement de telles situations. Cela vaut pour chaque pays et chaque continent. Nous sommes tous appelés à ne pas juste accepter des conditions insupportables, mais à manifester clairement notre détermination à les changer.

Le programme de développement durable à l’horizon 2030 en est un excellent exemple. L’Allemagne a d’ailleurs œuvré intensément en faveur de son adoption. On ne saurait surestimer la portée du fait que nous soyons parvenus l’année dernière à adopter ce programme parmi tous les États membres des Nations Unies, et qu’il ne s’agisse là pas uniquement d’un programme pour les pays en développement, les pays émergents ou les pays plus développés, mais d’un programme pour tous.

La République fédérale d’Allemagne entend assumer sa part de responsabilité internationale, comme le montrent de nombreux exemples. Notamment, nous souhaitons prendre nos responsabilités en postulant à un siège non permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies pour les années 2019 et 2020.

L’Union africaine est, elle aussi, animée par la volonté de faire changer les choses. Aussi ce nouvel édifice est-il l’expression d’une ambition commune : davantage de paix et de sécurité en Afrique, qui sont en effet les conditions essentielles d’une vie digne. Cet édifice moderne offre un nouvel espace, au sens propre comme au sens figuré, à l’architecture africaine de paix et de sécurité.

La Commission de l’Union africaine s’est focalisée sur une coopération plus étroite en matière de sécurité, elle a amélioré ses structures et a considérablement renforcé ses capacités. Lors du sommet de l’Union africaine à Kigali, vous avez abordé la question d’un financement durable et posé des jalons capitaux en vue d’une amplification de vos moyens d’autofinancement. C’est un sujet d’une grande importance pour la future capacité d’action de l’Union africaine, capacité qui, l’Union et ses organisations régionales l’ont démontré à maintes reprises, est absolument vitale. Plusieurs grosses flambées de violence ont déjà pu être évitées grâce à des réactions rapides et des efforts de médiation. Une telle manière d’assumer ses responsabilités peut sauver des vies, tout en ouvrant de nouvelles perspectives.

Ainsi, dans la région des Grands Lacs par exemple, des médiateurs et des pacificateurs veillent à ce que les génocides et les guerres civiles ne se répètent plus. Cependant, je ne vous cacherai pas que la situation au Burundi nous préoccupe grandement, et nous craignons que le vieux conflit ne resurgisse. Ce danger existe, mais le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et la Communauté de l’Afrique de l’Est tentent de toutes leurs forces de l’écarter.

En République démocratique du Congo, il s’agit d’organiser des élections libres. Il y a dix ans, des soldats allemands contribuaient au déroulement pacifique des élections présidentielles. Aujourd’hui malheureusement, nous sommes inquiets de voir qu’une grande partie de ce qui a été accompli au cours de ces dernières années pourrait bientôt s’écrouler. J’appelle donc les dirigeants à Kinshasa à respecter la Constitution et à préserver le Congo d’une crise profonde, dans l’intérêt de l’ensemble de la population.

En revanche, la situation en République centrafricaine est prometteuse. La transition démocratique réussie dans ce pays laisse présager une nouvelle stabilité politique ainsi qu’une relance économique. De telles évolutions sont importantes, notamment pour assécher le vivier des milices terroristes qui ne demandent qu’à tirer profit de l’instabilité, de l’insatisfaction et du manque de perspectives. Leur influence ne s’arrêtant que rarement aux frontières nationales, il est d’autant plus important que l’Union africaine et les groupements régionaux des pays concernés s’unissent pour faire barrage aux organisations terroristes barbares.

L’engagement de l’Union africaine en Somalie est particulièrement impressionnant. La mission AMISOM est en effet sa principale mission militaire. L’organisation prochaine d’élections libres en Somalie en dépit des conditions difficiles qui y règnent actuellement représenterait une belle victoire d’étape dont nous espérons vivement qu’elle sera réalisée.

Ce qu’il faut, en fin de compte, ce sont des structures étatiques stables afin d’éliminer les zones de non-droit et les bases de repli des terroristes. C’est la raison pour laquelle nous prêtons une attention particulière aux évolutions autour du lac Tchad. Non seulement cette région est marquée par le changement climatique, les sécheresses et la surexploitation économique, mais elle porte aussi les stigmates des ravages des extrémistes. La campagne sanglante de Boko Haram a déjà fait des milliers de victimes et poussé des millions de personnes à fuir dans d’autres régions ou dans les pays limitrophes. Il est difficile de mesurer toute l’ampleur de cette catastrophe humanitaire. Tout de même, une force d’intervention multinationale a déjà remporté plusieurs victoires dans la lutte contre les terroristes et libéré notamment sept cents femmes et enfants enlevés. Il reste néanmoins indispensable de poursuivre cette intervention, qui jouira d’ailleurs du soutien de l’Union européenne à hauteur de cinquante millions d’euros.

L’opération de maintien de la paix au Mali est, elle aussi, portée par un engagement commun. L’Allemagne contribue à la MINUSMA à travers l’envoi de jusqu’à six cent cinquante soldats allemands. Assurer la stabilité du Mali est d’une importance cruciale pour le développement de toute l’Afrique occidentale.

Un coup d’œil sur la carte de l’Afrique montre bien où l’effondrement de structures étatiques peut vite mener. La Libye en est un triste exemple. Il est donc d’autant plus important de concentrer tous les efforts sur la stabilisation de ce pays. Je plaide expressément pour que l’Union africaine se mobilise et use de son influence pour résoudre ce conflit. C’est une question sur laquelle nous avons peut-être trop peu échangé avec vous par le passé, je le reconnais en toute sincérité. Le processus de paix mené par les Nations Unies est axé sur la formation d’un gouvernement d’unité nationale inclusif, qui serait alors notre interlocuteur concernant l’endiguement de la migration illégale.

Nous ne pouvons pas accepter que des filières de passeurs mettent en danger la vie des autres. Cette traite des êtres humains doit cesser. Nous déplorons déjà beaucoup trop de morts en Méditerranée. Ce sont des jeunes surtout qui partent vers l’Europe avec des idées complètement fausses. Ils risquent un voyage au péril de leur vie sans savoir ce qui les attend et s’ils pourront rester là-bas. En route, ils subissent souvent un traitement dégradant. J’ai eu l’occasion de discuter avec quelques-uns de ces jeunes gens hier à l’Organisation internationale pour les migrations au Niger et ils m’ont fait part de leurs expériences parfois ahurissantes.

Mais ce qui est tout aussi clair, c’est qu’une grande partie de cet exode se déroule à l’intérieur de l’Afrique. De nombreux pays ayant pourtant eux-mêmes de grands problèmes de développement accueillent des réfugiés, c’est très impressionnant. À cet égard, et en présence du Premier ministre éthiopien, je tiens à remercier notamment l’Éthiopie de donner refuge à quelque 700 000 personnes.

L’Allemagne finance d’amples projets humanitaires et voués au développement afin de venir en aide aux personnes en détresse et de combattre les causes de l’exode. Notre attention se concentre aussi bien sur les pays d’origine que sur les pays de transit et les pays hôtes.

Le sommet UE-Afrique à Malte lors duquel nous avons adopté le plan d’action de La Valette constitue un pas important dans cette direction. Afin de mettre en œuvre ce plan, l’Union européenne a instauré un fonds fiduciaire d’urgence doté de 1,8 milliards d’euros. Je sais que vos pays, et ils ont raison, insistent à présent pour que ce plan d’action soit réalisé. En effet, il est nécessaire d’agir au plus vite car les personnes en détresse ont besoin d’aide de toute urgence.

Les partenariats de migration avec les pays africains représentent un instrument indispensable dans ce domaine. Aussi, l’Allemagne, la France et l’Italie s’engagent notamment au Mali et au Niger.

Il ne faut pas oublier toutefois que le meilleur remède contre l’exode des populations et la menace terroriste, c’est un développement économique durable. L’Afrique offre des potentiels économiques remarquables. Elle possède d’abondantes ressources naturelles ainsi qu’une classe moyenne croissante dans nombre de pays. Mais l’Afrique a aussi une population qui augmente à toute allure, une population jeune et pleine d’espoir. Dans mon pays, l’âge moyen est d’environ quarante-cinq ans. L’âge moyen des pays africains par contre se situe entre quinze et dix-neuf ans. Cela montre d’une part combien ce continent regorge d’espoir, mais aussi combien la désillusion peut être douloureuse si nous ne parvenons pas à transformer ensemble cet espoir en réalité.

Je distingue donc trois missions centrales. Premièrement, il nous faut intensifier les investissements privés en Afrique afin de promouvoir une croissance durable et de créer des emplois. Cela nécessite un cadre adéquat et un environnement commercial équitable. Deuxièmement, l’aménagement des infrastructures doit progresser dans les domaines des transports, de la communication et de l’énergie. Dans le champ des énergies renouvelables, nous disposons aujourd’hui de bonnes expériences. Étant donné qu’un grand nombre de personnes n’a toujours pas accès à l’électricité sur le continent africain, notamment dans les régions rurales, nous sommes bien conscients qu’il est très difficile d’y bâtir une économie. La construction d’infrastructures joue donc un rôle fondamental. Troisièmement, il nous faut une meilleure formation professionnelle, axée davantage sur le marché du travail afin d’améliorer les chances de trouver un emploi.

L’année prochaine, l’Allemagne prendra la présidence des États du G20. Ce sera aussi l’occasion de placer les questions qui intéressent les Africains parmi les priorités du G20 et donc de lancer une large initiative avec l’Afrique. Un événement particulièrement important dans ce contexte sera la conférence qui se déroulera à Berlin en milieu d’année et à laquelle participeront des hauts représentants des États du G20, des pays africains, des organisations internationales et du secteur privé. Avant cette date encore, nous avons également programmé notre sommet germano-africain des affaires qui se tiendra cette fois-ci à Nairobi. Beaucoup d’entreprises allemandes opèrent déjà en Afrique, mais elles pourraient être encore bien plus nombreuses. C’est un objectif pour lequel je m’engage personnellement, tout comme notre gouvernement tout entier.

L’Union africaine est la force motrice de l’intégration économique sur votre continent. Il est bon de savoir qu’à cet égard aussi, elle représente un partenaire essentiel de l’Union européenne. L’Afrique est un continent de l’avenir. Afin que cet avenir soit vraiment prospère, il importe aujourd’hui de poser des jalons décisifs. Cette tâche revient à de nombreux acteurs, notamment à nous autres pays européens. L’Allemagne et l’Union européenne se tiennent volontiers à vos côtés pour y arriver, sans pour autant vous dicter comment procéder mais plutôt en tant que partenaires qui, du reste, ont encore beaucoup à apprendre sur votre histoire, votre culture et vos préoccupations. Nos connaissances sur l’Afrique sont insuffisantes, du moins en ce qui me concerne personnellement en tant que chancelière fédérale ainsi que bon nombre de mes compatriotes.

Il nous faut comprendre que le bien-être de l’Afrique est dans l’intérêt de l’Allemagne et de l’Europe. C’est donc dans cet esprit que nous voulons coopérer, en ce lieu même notamment si nous sommes invités à y revenir. En tout cas, ces murs sont dorénavant à votre disposition. J’espère que cet endroit contribuera de manière significative à ce que la paix, la réconciliation et la sécurité s’inscrivent encore davantage dans la vie de tous les Africains.

Tous mes vœux de succès vous accompagnent dans votre travail, Madame Zuma, Mesdames et Messieurs les Commissaires et vous tous qui êtes responsables de la paix et de la sécurité. Veillez à bien coopérer. Trouvez des compromis au sein de l’Union africaine. Songez que vous pourriez servir de modèle à l’Union européenne en nous montrant que vous parvenez à résoudre plus rapidement que nous autres des problèmes compliqués. Voilà un défi que je vous invite à relever.

Je vous remercie.