Discours de la chancelière fédérale Angela Merkel à l’occasion de la conférence « La politique étrangère et de sécurité sous la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne » de la Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS) à Berlin, le 27 mai 2020

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Discours de la chancelière fédérale Angela Merkel à l’occasion de la conférence « La politique étrangère et de sécurité sous la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne » de la Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS) à Berlin, le 27 mai 2020

Le jeudi 28 mai 2020 à Berlin

Madame l’Ambassadrice, chère Madame Descôtes,

Monsieur le Président, cher Norbert Lammert,

cher Johann Wadephul,

cher Monsieur Huotari,

Mesdames, Messieurs,

vous qui assistez à cette conférence en vous tenant à distance les uns des autres dans les locaux de la KAS mais vous aussi qui suivez la retransmission en direct en continu de cette conférence,


Lorsque la Fondation a planifié la conférence d’aujourd’hui, le monde était encore différent. On était à l’aube d’une nouvelle décennie ; or à toute nouvelle étape de ce genre s’associe toujours l’espoir de voir grandir la paix, la stabilité et le bien-être dans le monde. Il y a quelques semaines encore, les États membres de la zone euro suivaient un solide cap de croissance économique. L’Allemagne se préparait à une sixième année de budget fédéral à l’équilibre. Les citoyennes et citoyens de l’Union européenne se déplaçaient tout naturellement à l’intérieur des frontières de l’espace Schengen, pour affaires ou pour des motifs privés, sans contrôles aux frontières et sans masque.


Il y a quelques semaines encore, il semblait inconcevable que des démocraties libérales puissent, comme elles ont dû le faire peu après, prendre de vastes mesures telles que des restrictions en matière de déplacements et de contacts, mesures qui, en Allemagne aussi, constituent les plus dures restrictions des libertés des citoyennes et citoyens depuis la fondation de la République fédérale d’Allemagne. Ces décisions ont été parmi les plus dures que j’aie jamais dû prendre dans mes fonctions de chancelière fédérale de la République fédérale d’Allemagne. Car ce virus est et reste un affront à la démocratie.


La pandémie de Covid-19 a complètement chamboulé notre univers, de même que les préparatifs de la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne, que nous prendrons par roulement le 1er juillet prochain pour six mois. La gestion de la crise est passée au premier plan. Cependant, nous voulons également maintenir dans le cadre de notre présidence les priorités et les questions d’avenir prévues jusqu’ici, c’est-à-dire en particulier œuvrer pour relancer notre économie dans le sens de la neutralité climatique, avancer dans la transition numérique et renforcer le rôle de l’Europe comme pôle de stabilité du monde. La pandémie de Covid-19 montre combien des transformations fondamentales et radicales exigent que nous prenions en un laps de temps relativement court des décisions qui ont des conséquences à très long terme.


Je remercie la Fondation de m’avoir conviée à cette conférence qui offre l’occasion de mesurer l’impact de ces développements réellement transformateurs notamment dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité. Cet aspect auquel se consacre la manifestation d’aujourd’hui est d’autant plus important qu’il nous faut penser et agir sur le plan politique face à des exigences contradictoires.


D’un côté, on attend de nous tous que nous respections des règles en matière de contacts et de distance physique avec nos familles, nos amis, nos connaissances et nos collègues, c’est-à-dire avec tous ceux avec lesquels nous ne vivons pas sous un même toit, et que nous prenions donc soin les uns des autres en restant à distance. De l’autre, pour sortir de cette crise, il est décisif que la famille européenne soit encore plus soudée. En effet, comme le virus ne s’arrête pas aux frontières, notre réponse en tant qu’Union européenne ne doit pas non plus s’arrêter aux frontières nationales. Nous devons nous entraider dans toute la mesure du possible. Car, nous le savons, l’Allemagne ne peut aller bien à long terme que si l’Europe, elle aussi, se porte bien. Inversement, il est bon également pour l’Europe que l’Allemagne soit forte tant sur le plan économique que politique.


En dépit des incertitudes auxquelles nous sommes confrontés, une chose est sûre pour moi dès à présent : l’Europe pourra sortir de la crise plus forte qu’elle ne l’était auparavant. Afin de pouvoir nous montrer à la hauteur de ce défi, l’essentiel est pour moi d’assurer la cohésion et la solidarité européennes, précisément en cette période de pandémie. C’est ce mot d’ordre d’une gestion de crise commune et tournée vers l’avenir qui dominera la présidence allemande du Conseil de l’UE.


Au début de la pandémie, il a fallu faire preuve rapidement et concrètement de solidarité lorsqu’il a été question par exemple de fournir des équipements médicaux aux partenaires européens les plus durement touchés, d’accueillir des malades gravement atteints en provenance de ces pays et de rapatrier de l’étranger, au cours d’une action inédite, des citoyens d’autres pays européens en même temps que de nombreux citoyens allemands.


Cela est bien évidemment loin de suffire pour assurer une relance durable de l’économie qui garantisse également la convergence et la cohésion. Pour faire face à ce défi exceptionnel, il nous faudra fournir un effort exceptionnel. Les propositions que nous avons soumises, le président français Emmanuel Macron et moi-même, il y a quelques jours vont dans ce sens. Aujourd’hui, la Commission européenne a présenté à son tour sa proposition. Je me réjouis à la perspective de poursuivre au niveau des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne ces discussions au cours desquelles la France et l’Allemagne agiront de concert et de manière ciblée.


Mesdames, Messieurs, j’aimerais cependant obtenir encore davantage. Je voudrais que l’Union européenne fasse preuve, en particulier en période de crise, d’une solidarité à l’échelle mondiale et assume encore une plus grande responsabilité. La pandémie conduira dans bien des régions du monde à un durcissement des conflits et des problèmes existants, et représente donc une mise à l’épreuve de la capacité à agir de l’Union européenne dans la politique étrangère et de sécurité. Nous devons à plus forte raison défendre, également à l’échelle mondiale, les valeurs que nous prônons au sein de l’Union européenne, à savoir la solidarité, la démocratie, la liberté et la protection de la dignité de l’être humain. Cela s’applique également à la coopération avec nos partenaires du monde entier, qui sont éventuellement encore plus durement touchés que nous par les répercussions de la pandémie de Covid-19.


Sous notre présidence, l’attention se portera donc d’un côté vers l’intérieur, les restrictions budgétaires et la relance de nos économies constituant ici des éléments difficiles dont il nous faudra tenir compte. De l’autre, nous ne devrons jamais perdre de vue combien notre engagement mondial est important, justement dans une situation comme celle que nous vivons actuellement.


Ces dernières années, l’Europe a acquis la réputation d’un partenaire fiable, aussi bien comme interlocuteur digne de confiance dans les enceintes internationales que, par exemple, dans le dossier iranien, dans les missions civiles en Ukraine ou dans les missions de formation au Mali. Nous devons poursuivre dans cette voie. Car, en particulier lorsque le monde est déstabilisé, il est dans notre intérêt européen de pouvoir servir de pôle de stabilité. En tant que projet inter-États, l’Union européenne, par définition, soutient une coexistence multilatérale fondée sur des règles. Cela n’a jamais été aussi vrai qu’en temps de crise.


La conférence des donateurs récemment organisée par la Commission européenne a montré que nous sommes capables, en tant qu’Union européenne, de diriger un effort mondial. Huit milliards de dollars ont été obtenus pour le développement, la production et la distribution de vaccins, de traitements et de diagnostics. La France et l’Allemagne ont contribué pour une part essentielle à cet effort.


Je considère la présidence allemande comme une possibilité de poursuivre le développement de l’Europe comme force solidaire, efficace et créative assumant la responsabilité de la paix et de la sécurité dans le monde.


C’est sur cette base que se fondera notamment la relation entre l’UE et la Chine, une priorité de notre présidence dans le domaine de la politique étrangère. Pour l’Union européenne, organiser activement sa coopération avec la Chine, l’un des acteurs majeurs de ce siècle, constitue un intérêt stratégique de taille. Au cours de mes entretiens, il m’arrive souvent de voir que les Chinois s’étonnent que nous parlions beaucoup de la montée en puissance de leur pays. Car ils estiment que leur civilisation vieille de 5 000 ans ne fait que retrouver la place centrale sur la scène internationale qui fut la sienne des siècles durant. Dans l’organisation de nos relations, il ne s’agira donc pas uniquement de développer le volume des échanges commerciaux ou d’entretenir des relations protocolaires, il faudra que nous, Européens, comprenions avec quelle détermination la Chine prétend occuper une place de premier plan dans les structures existantes de l’architecture internationale. Nous ne devrions cependant pas nous contenter de constater ce fait mais au contraire relever ce défi avec assurance.


Divers thèmes de notre ordre du jour pendant la présidence concerneront donc notre relation avec la Chine. Nous voulons parvenir à conclure l’accord sur les investissements en négociation depuis plusieurs années. C’est, je le concède, un projet très ambitieux. Nous voulons avancer dans les questions de protection du climat et de l’environnement. Nous voulons progresser dans le domaine de la santé mondiale et échanger par exemple sur nos possibilités d’améliorer les critères de transparence dans le contexte de pandémies planétaires. De plus, nous voulons évoquer nos relations respectives avec l’Afrique et définir concrètement comment mieux coordonner notre engagement et fixer pour cela les bonnes normes pour assurer un développement durable.


Si tous ces aspects des relations entre l’UE et la Chine sont déjà assez ambitieux en soi, ils le sont, bien entendu, d’autant plus que la Chine n’est pas n’importe quel partenaire ou concurrent mais un pays avec lequel il existe de profondes différences quant à la primauté du droit, la liberté, la démocratie et les droits de l’homme ; je me contenterai de rappeler dans ce contexte la situation de Hong Kong et le principe « un pays, deux systèmes ». Le fait justement qu’il existe entre nous des différences fondamentales ne devrait cependant pas servir d’argument contre l’échange, le dialogue et la coopération, tout spécialement à une époque où nous assistons à un désaccord de plus en plus marqué entre les États-Unis et la Chine. Au contraire, un dialogue ouvert, critique et constructif est encore plus important que jamais si nous voulons affirmer nos valeurs et nos intérêts européens.


Mesdames, Messieurs, l’Afrique constitue une autre priorité de notre politique étrangère cette année. Au mois d’octobre, un sommet réunira l’UE et l’Union africaine. Il vise à approfondir la coopération entre partenaires. L’action commune contre le coronavirus devra y jouer un rôle bien entendu, mais cela ne sera pas tout. Dès maintenant, il est à prévoir que de nombreux pays d’Afrique vont souffrir massivement des impacts socio-économiques de la pandémie. Nous devons donc trouver une réponse collective concernant la manière d’atténuer ces répercussions. D’un autre côté, nous pouvons aussi beaucoup apprendre des pays africains puisqu’ils disposent de leur propre expérience en matière de pandémies. Nos entretiens avec l’Afrique porteront également sur le climat, les migrations, le développement économique durable et, bien sûr, la paix et la sécurité, pour ne mentionner que quelques exemples.


Ce sont tous des domaines dans lesquels l’Allemagne et l’Europe ont nettement renforcé leur engagement politique ces dernières années.


Prenons par exemple la guerre civile en Libye. La conférence de Berlin sur la Libye qui s’est tenue au mois de janvier a contribué à soutenir les efforts de paix des Nations Unies. L’évolution de la situation en Libye ces dernières semaines souligne le fait qu’il y a une chance de stabiliser le pays uniquement si les parties approuvent le projet de cessez-le-feu négocié par les Nations Unies et reviennent s’asseoir à la table des négociations. Mais au-delà de la Libye, il s’agira de veiller dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’Union européenne à ce que les opérations et les missions européennes puissent se poursuivre autant que possible. Or cela ne pourra se faire qu’en étroite concertation avec des partenaires tels que les Nations Unies.


Mesdames, Messieurs, l’Europe ne pourra pas faire face seule sur la scène mondiale aux défis que je viens d’esquisser. Elle a besoin de partenaires et d’alliés pour pouvoir faire face collectivement aux défis cruciaux de notre temps et pour en sortir grandie.


Les États-Unis d’Amérique sont le principal partenaire de l’Europe. Cela dit, j’ai tout à fait conscience que la coopération avec les États-Unis est actuellement plus difficile que nous le souhaiterions. Cela est vrai aussi bien pour le climat que pour la politique commerciale et actuellement pour la question de l’importance des organisations internationales dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Néanmoins, je suis fermement convaincue que les relations transatlantiques, la coopération et l’alliance avec les États-Unis et dans l’OTAN sont et restent un pilier porteur de notre politique étrangère et de sécurité. Il est donc dans notre plus grand intérêt national et européen non seulement de conserver ce pilier, mais aussi de le renforcer. Car nous dépendons les uns des autres pour veiller à l’ordre mondial, à la paix et à la stabilité, pour veiller au règlement des grandes questions de notre temps. C’est pour nous le seul moyen de faire vraiment respecter nos intérêts dans le monde.


Nous ne devrions jamais oublier que l’Europe n’est pas neutre. L’Europe fait partie du monde politique occidental. Si l’Europe veut s’affirmer et affirmer ses valeurs dans le monde – ce que nous voulons et devons faire –, nous ne pouvons y parvenir qu’en prenant davantage notre destin en main, d’une part, et d’autre part, en agissant en partenaire fiable de la communauté occidentale de valeurs et d’intérêts. Pour moi, les deux sont liés. Ce sont les deux faces d’une même médaille.


Cela vaut naturellement aussi pour nos relations avec la Russie. Il y a un tas de bonnes raisons de chercher à entretenir des bonnes relations avec la Russie, notamment la proximité géographique et notre histoire commune, les défis mondiaux et les relations économiques mutuelles. Le plus grand pays de la planète a de son côté aussi, bien sûr, un tas de bonnes raisons d’entretenir des relations constructives avec l’Union européenne et avec l’Allemagne.


C’est pourquoi je m’efforce depuis le début de mon mandat d’œuvrer pour un dialogue critique mais constructif et pour une coexistence pacifique. Or, il est nécessaire pour cela d’être convaincu que ce n’est pas la loi du plus fort mais la force du droit qui régit les relations internationales. Notre attachement à l’Acte final d’Helsinki et à la Convention européenne des droits de l’homme, par exemple, font partie intégrante de notre conception de nos relations extérieures. La Russie a violé à plusieurs reprises ce socle de valeurs et de règles. Elle a créé dans son environnement immédiat une ceinture de conflits non résolus et annexé la péninsule ukrainienne de Crimée en violation du droit international. Elle soutient un régime fantoche dans une partie de l’est de l’Ukraine et a recours à des attaques hybrides contre les démocraties occidentales, dont l’Allemagne.


Il ne fait aucun doute que la Russie continuera de nous occuper pendant notre présidence. Lorsque les règles fondamentales du droit international sont bafouées, nous le dirons clairement. Si le processus de Minsk n’avance pas, nous devrons maintenir les sanctions mises en place.


D’un autre côté, la présidence du Conseil est l’occasion de donner un nouvel élan aux relations. Songeons simplement à la Libye, la Syrie, la lutte contre le changement climatique et la santé mondiale. En appliquant nos principes et en nous engageant, nous affirmons nos valeurs.


Mesdames, Messieurs, un virus de 140 nanomètres de diamètre a eu des répercussions mondiales. Les conséquences de la pandémie marqueront également dans une large mesure et pour une période indéterminée notre politique étrangère et de sécurité commune européenne. Nous voulons contribuer pendant notre présidence à renforcer l’Europe à l’intérieur pour pouvoir servir à l’extérieur de pôle de stabilité solidaire dans le monde. Tous ensemble nous voulons relancer l’Europe.


Pour conclure, j’aimerais citer cette phrase célèbre et ô combien juste de Konrad Adenauer : « L’unité de l’Europe était le rêve de quelques-uns. Elle est devenue l’espoir d’une multitude. Elle est aujourd’hui une nécessité pour nous tous. » Dans cet esprit, je nous souhaite à tous beaucoup de force dans l’accomplissement de nos missions à venir et je remercie encore une fois la Konrad-Adenauer-Stiftung pour cette invitation et vous souhaite de bonnes discussions.


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