Discours de la Chancelière fédérale Angela Merkel à l’occasion de la remise du Prix international Charlemagne d’Aix-la-Chapelle au Président de la République Emmanuel Macron le 10 mai 2018 à Aix-la-Chapelle

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Discours de la Chancelière fédérale Angela Merkel à l’occasion de la remise du Prix international Charlemagne d’Aix-la-Chapelle au Président de la République Emmanuel Macron le 10 mai 2018 à Aix-la-Chapelle

Le jeudi 10 mai 2018 à Aachen

Monsieur le Président, cher Emmanuel Macron,
Monsieur le Maire,
Chers lauréats et lauréates du Prix international Charlemagne,
Cher directoire du Prix international Charlemagne,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

Une Europe unie : c’est la cause que soutient la ville d’Aix-la-Chapelle année après année en remettant le Prix Charlemagne. Car tout comme l’Europe mérite d’être célébrée, ceux et celles qui non seulement croient en cette Europe mais aussi la font vivre par leur action méritent d’être salués et honorés.

Charlemagne, à qui le prix a emprunté le nom, était déjà surnommé le « Père de l’Europe » de son temps. À la fin du VIIIe siècle, il fit d’Aix-la-Chapelle son palais favori, et y rassembla des érudits de toute l’Europe. Les impulsions parties d’ici à cette époque continuent d’irriguer les sciences et la culture d’aujourd’hui. Dans cette mairie proche de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle, ces racines culturelles nous accompagnent à chaque pas, tout comme nous accompagnent les hauts et les bas de l’Histoire européenne.

En 2018, nous commémorons le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Le lauréat de cette année, Emmanuel Macron, vient d’Amiens – une ville dont les portes ont vu toute une génération d’Européens mourir dans le sang des tranchées. Quiconque se tient devant les tombes de ces innombrables jeunes gens, privés de leur vie parce que le nationalisme borné et l’aveuglement ont conduit notre continent au bord de l’abîme, connaît la valeur de l’unification européenne. Celle ci nous a apporté la paix et la liberté, la démocratie et l’état de droit. Seule l’unité européenne peut protéger ces acquis à l’avenir.

Regarder la liste des lauréats du Prix Charlemagne depuis 1950, c’est observer un reflet de l’histoire contemporaine de l’Europe. De la Communauté européenne du charbon et de l’acier à l’introduction de l’euro et au grand élargissement à l’Est en passant par la création de l’Union européenne, on y trouve des personnalités, femmes et hommes de courage, qui ont donné un visage à l’Europe – tous unis par leur passion de la cause européenne.

Oui, l’Europe a besoin de passion, elle vit de la passion : une passion qui anime le lauréat de cette année, le président de la République française Emmanuel Macron, dans l’exercice de ses fonctions. Emmanuel Macron est né en 1977. Il avait onze, douze ans à la fin de la Guerre froide. Emmanuel Macron est entré en homme politique jeune et dynamique sur la scène européenne, pour qui l’intégration européenne ou la monnaie unique va de soi. Mais ce responsable politique sent aussi que cette évidence constitue justement le plus grand risque pour le modèle européen. Peut être est ce dû au fait qu’il existe de moins en moins de témoins des débuts de l’Europe, d’hommes et de femmes capables de nous raconter le courage et les compromis qu’il a fallu.

Emmanuel Macron sait que la génération actuelle doit continuer à forger l’Europe en puisant dans sa propre inspiration. Il a compris, et l’a répété à plusieurs reprises, dernièrement le 17 avril devant le parlement européen à Strasbourg, que face aux différents défis à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union européenne cette à un rôle essentiel à jouer. Sa responsabilité historique est de défendre, de renforcer et, lorsque c’est nécessaire, de replacer sur de nouvelles bases la démocratie européenne, l’ordre des valeurs européennes, le modèle social européen, la dignité de chaque être humain, en un mot, tout ce qui fait l’identité européenne.

Cher Emmanuel, cette date, le 10 mai, est un rappel. En 1933, les nationaux-socialistes ont brûlé, à Berlin et dans d’autres villes universitaires allemandes, les livres des nombreux auteurs qui leur déplaisaient, des œuvres de Heinrich Heine et Sigmund Freud, de Heinrich et Thomas Mann, Karl Marx et Kurt Tucholsky. Aujourd’hui, 85 ans plus tard, autrement dit une vie d’homme, nous nous devons de rappeler que les libertés sont un bien fragile qu’il faut toujours protéger et défendre. Pour cela, il faut résister davantage, tu l’as souvent répété, aux nationalismes étriqués et passéistes et aux tentations autoritaires. À Strasbourg tu as évoqué l’autorité de la démocratie, qui doit être plus forte que les tentations autoritaires.

Qu’est ce qui désigne Emmanuel Macron pour recevoir à juste titre aujourd’hui, un an à peine après son entrée en fonction, le Prix Charlemagne ? Je mettrais trois aspects en valeur. Premièrement, Emmanuel Macron sait ce qui constitue le cœur de la cohésion européenne. Deuxièmement, Emmanuel Macron a une idée claire de comment et de où l’Europe devrait évoluer. Troisièmement, Emmanuel Macron apporte son enthousiasme pour l’Europe.

Cet enthousiasme motive ceux qui s’engagent pour l’Europe mais peut aussi rallier les hésitants – et il est aussi crucial pour s’opposer à ceux qui ne jurent que par le passé. Dans sa campagne électorale comme dans son activité politique au quotidien, Emmanuel Macron a su incarner cet enthousiasme dans chacun de ses actes. C’est ce qui nourrit le nouveau départ qu’a suscité son élection à la présidence de la République.

Emmanuel Macron sait que seule une France sûre d’elle peut donner un nouvel élan à l’idée européenne. C’est pourquoi il travaille résolument à mettre en œuvre son programme de réformes mais réactive également les racines spirituelles, philosophiques et culturelles de sa patrie.

Emmanuel Macron ne cesse de souligner l’importance de préserver et renforcer la démocratie européenne – que ce soit au pied de l’Acropole à Athènes le 7 septembre dernier ou lors de son discours devant le parlement européen. Au niveau national comme européen, une démocratie opérationnelle et un état de droit efficace sont des conditions nécessaires à l’épanouissement des Européens, au respect des droits fondamentaux et des droits de l’homme, à la recherche équitable et libre des meilleures solutions pour le bien commun, même si cela prend parfois plus de temps qu’il ne siérait aux uns ou aux autres.

Mieux encore : Emmanuel Macron explique fréquemment comment notre appartenance culturelle et historique s’est accrue au fil des siècles, pour le meilleur et pour le pire. Je pense en particulier à son discours prononcé en octobre 2017 lors de l’ouverture de la Foire du livre de Francfort. Emmanuel Macron y a témoigné de sa vision de l’identité culturelle de l’Europe. À l’heure où l’on s’intéresse plus souvent au dernier article de telle directive ou de tel règlement européen, il est primordial de tenir compte de cette dimension. Dans la philosophie, la littérature, dans nos langues, dans la musique, la peinture ou encore l’architecture, toutes nos nations européennes se côtoient et s’enrichissent mutuellement depuis des siècles. Monseigneur, je vous remercie à ce sujet de votre sermon, qui nous a éclairés une nouvelle fois sur la dimension religieuse et chrétienne de ces inspirations.

Ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron a prononcé son discours sur l’Europe à la Sorbonne. L’Europe des érudits, l’Europe des sciences est plus ancienne que les Traités de Rome. Au delà du cercle des savants, les commerçants, les compagnons ou les pèlerins ont contribué aux échanges constants sur notre continent. Sans cette base commune, l’intégration européenne n’aurait jamais pu se développer dans la politique et l’économie. Les différences ne nous séparent pas mais nous rassemblent – dans la curiosité de l’autre, dans l’effort de comprendre. Les Allemands et les Francais sont bien placés pour le savoir. Nos cultures politiques sont différentes, nos approches des sujets européens aussi ; nous parlons, nous nous écoutons – et trouvons pour finir des chemins communs. Ce sont les défis et la magie de l’Europe telle que je l’ai constamment vécue, tout particulièrement, si je puis y ajouter une note personnelle, en travaillant avec toi cette année, cher Emmanuel Macron.

Se retirer dans le champ national n’est pas la bonne voie. Nous sommes liés, en tant qu’Européens, par bien plus que le marché commun ou la monnaie unique. L’Europe se doit aussi d’être davantage que le résultat de l’histoire commune, que le dépassement de nos oppositions passées et de nos guerres sur le continent. L’enjeu est le suivant : l’Europe est le projet d’avenir décisif de notre continent. Le Pape François a lancé un appel aux chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne dans son message adressé lors du 60e anniversaire de la signature des Traités de Rome : « L’Europe retrouve l’espérance lorsqu’elle s’ouvre à l’avenir. » C’est ce qu’il a déclaré après avoir qualifié l’Europe de grand mère devant le parlement européen. Certes, être grand mère est une belle chose. Mais le Pape en dit long lorsqu’il estime que nous retrouvons l’espérance lorsque nous nous ouvrons à l’avenir.

Face aux grands défis mondiaux, nous ne pouvons, nous Européens, exercer notre influence que si nous agissons ensemble. C’est ensemble, et ensemble seulement, que nous pouvons acquérir ou maintenir notre capacité d’action, ou comme le dirait Emmanuel Macron : notre souveraineté. L’un des débats passionnants entre l’Allemagne et la France sur la souveraineté porte régulièrement sur cette question : dans quelle mesure cette Europe future doit elle protéger et combien nous faut il d’ouverture, à nous Européens, pour y parvenir ? Comment trouver le bon équilibre entre les deux pôles ? Cette question pénètre toutes nos discussions, aussi bien sur le commerce que sur l’organisation du marché unique numérique ou la définition d’une politique étrangère commune.

Quel est l’enjeu ? L’Europe doit montrer que, dans un monde globalisé, elle n’est pas une partie du problème mais une partie de la solution. C’est la question cruciale qui a amené Emmanuel Macron, dans son discours de la Sorbonne, à placer la refondation de l’Union européenne au cœur de sa politique. Et c’est aussi la raison pour laquelle nous, Allemands, avons placé le chapitre de l’avenir de l’Union européenne en tête de notre accord de coalition. La raison pour laquelle nous sommes convaincus, tout comme la France, que nous avons besoin d’un nouveau départ en Europe.

Ensemble, nous devons donner des réponses très concrètes aux grandes questions du présent et du futur de l’Europe. Permettez moi de m’arrêter sur quatre domaines.

Premièrement, une stratégie européenne d’innovation et d’investissement visant à renforcer l’économie à l’ère de la mondialisation et du numérique. L’Europe a toujours été une promesse de bien être. Mais face aux énormes défis de la transformation technologique, il n’est plus sûr que nous soyons ceux qui déterminent la marche du monde. Et pour être franche, ce n’est bien souvent pas le cas. Nous devons donc chercher à rattraper notre retard, aussi bien en ce qui concerne l’intelligence artificielle, domaine dans lequel l’Allemagne et la France prévoient de coopérer étroitement, que dans les innovations de rupture. La semaine prochaine lors de la réunion à Sofia avec les dirigeants européens, l’Allemagne et la France soumettront une proposition en faveur d’une nouvelle coopération institutionnelle en Europe.

J’appuie la proposition d’Emmanuel Macron de créer des universités européennes pour faire progresser le paysage d’éducation et de recherche européen. La déclaration commune signée le 12 avril dernier à Strasbourg par les responsables régionaux du Bade-Wurtemberg et du Grand Est est le premier pas concret dans cette direction. Elle prévoit la fusion des cinq universités régionales du Rhin supérieur pour former une région scientifique pilote. Nous en avons un besoin urgent. Car nous qui avons construit par exemple les premières automobiles en Europe sommes aujourd’hui tributaires des batteries asiatiques et de la sous traitance numérique américaine. Cela ne peut correspondre à notre idée de l’économie sociale de marché. Nous devons à nos citoyens d’être parmi les premiers. Or cela n’est possible qu’au prix d’un grand effort européen.

Deuxièmement, la politique européenne en matière d’asile et de migration. La libre circulation est pour ainsi dire le fondement du marché unique. Nous ne pourrons cependant préserver cette liberté que si nous réformons nos systèmes d’asile et en faisons un système commun, qui devra être solidaire, équitable et résister aux crises. Pour maintenir la liberté de circulation, il est indispensable d’assurer aussi la protection de nos frontières extérieures. Les murs ne pourront cependant aider à résoudre le problème, nous le savons. C’est plutôt d’une politique africaine commune dont nous avons besoin. Au cours de cette première année de la présidence d’Emmanuel Macron, nous avons déjà mis en place, par exemple dans la zone du Sahel, des partenariats exemplaires et établi une coopération franco-allemande étroite que nous continuerons de développer.

Troisièmement, nous avons bien entendu besoin, Mesdames et Messieurs, d’une Union économique et monétaire pérenne. De nombreux débats tournent ces jours ci autour de ce point précis. Je vous confierai que, effectivement, ces discussions que nous abordons dans des perspectives culturelles différentes sont difficiles. Il n’empêche que nous avancerons dans l’Union bancaire, progresserons dans l’Union des marchés de capitaux, renforcerons la zone euro et la rendrons plus compétitive. Nous avons prévu de présenter des solutions en ce sens d’ici le mois de juin. Et c’est ce que nous ferons.

Quatrièmement, la politique étrangère et de sécurité commune. La contribution de l’Europe à la paix et la stabilité dépend de notre capacité à agir de concert et à parler d’une seule voix sur la scène internationale. Après des décennies, nous sommes parvenus ces derniers mois à mettre en place une coopération structurée permanente dans la politique de défense. C’est un pas énorme, qui a fait défaut pendant longtemps. Mais disons le franchement : en matière de politique étrangère commune, l’Europe en est encore à ses balbutiements. Et pourtant, cette politique sera existentielle. Car la nature des conflits s’est complètement transformée depuis la fin de la Guerre froide. Un très grand nombre de défis d’envergure mondiale se jouent aux portes de l’Europe. Et il ne faut plus compter sur les États Unis d’Amérique pour nous protéger simplement ; l’Europe doit prendre elle même son destin en main. Voilà la mission de l’avenir.

Pour illustrer ce qui se passe à nos portes, prenons les Balkans occidentaux. Je tiens à remercier le président du Conseil de l’Union européenne ici présent, Boïko Borissov, d’être prêt à inviter la semaine prochaine ces pays et les dirigeants européens à Sofia. Nous avons ici une responsabilité à prendre qui décidera de la guerre ou de la paix sur notre continent. Cette responsabilité, nous nous devons de l’assumer.

L’Allemagne et la France ont accompli un pas important dans le contexte du conflit en Ukraine. Je me réjouis de compter Petro Porochenko parmi nous aujourd’hui. Nous n’avons certes pas encore atteint les résultats escomptés en format Normandie mais nous savons que résoudre les conflits est souvent une mission de longue haleine. Nous persévérerons donc pour garantir l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine.

Nous avons défendu ensemble – surtout le Royaume Uni, la France et l’Allemagne – notre position concernant l’accord sur le nucléaire iranien. Nous savons que la situation est extrêmement compliquée. L’escalade des dernières heures nous le montre bien : c’est la guerre ou la paix qui se joue. Je ne peux qu’appeler toutes les parties à faire preuve de retenue.

Nous avons besoin d’une solution politique dans l’ensemble de la région située à nos portes. La Syrie n’est pas n’importe où, elle est voisine des États membres de l’Union européenne, Chypre par exemple. C’est pourquoi, dans les semaines et les mois à venir, il va falloir travailler bien plus dur pour trouver une solution politique pour tout ce qui concerne la Syrie, et je le dis, les Allemands aussi vont devoir s’impliquer davantage. Car en songeant au nombre de réfugiés qui sont arrivés chez nous en Allemagne, nous voyons bien que nous ne pouvons pas tout simplement détourner les yeux, mais qu’il nous faut contribuer à ce que cette région aussi redevienne plus paisible.

Mesdames et Messieurs, l’évolution de l’Europe se trouve sans conteste dans une phase décisive. Tout le monde s’en rend compte. En créant l’Europe, les pères fondateurs ont tiré les enseignements des terribles guerres de la première moitié du XXe siècle. L’Europe a toujours été un projet de paix. La responsabilité historique de notre génération consiste à ancrer durablement l’Europe comme projet d’avenir positif de notre continent et à la localiser dans l’ordre global international. Pour ce faire, tous les chefs d’État et de gouvernement continueront de travailler intensivement avec la Commission européenne, chacun d’entre nous en y mettant toutes ses forces, et notre lauréat d’aujourd’hui, Emmanuel Macron, avec toute la passion qui est la sienne.

Cher Emmanuel, je te félicite de tout cœur. Ton enthousiasme, ton engagement, ton courage sont communicatifs. Tu es plein d’idées et tu as ravivé le débat politique sur l’Europe avec tes propositions. Le prix qui t’est remis aujourd’hui ne vise pas seulement à confirmer ton engagement dans la bonne voie mais aussi à t’inciter et te conforter à poursuivre avec confiance. Je me réjouis de pouvoir y travailler avec toi dans cette direction.

Tous mes remerciements et mes félicitations t’accompagnent.

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