French translation
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Il y a 50 ans, presque jour pour jour, deux États allemands adhéraient aux Nations Unies : l’ancienne République démocratique allemande en tant que 133e membre et la République fédérale d’Allemagne en tant que 134e membre. Cette étape revêt jusqu’à ce jour une grande importance pour nous, Allemandes et Allemands. Car pour mon pays, qui avait été à l’origine de terribles guerres et de crimes atroces, l’adhésion aux Nations Unies allait de pair avec la possibilité pour lui de réintégrer la famille des peuples épris de paix. Nous sommes profondément reconnaissants de cette chance qui nous a été donnée.
Cette réintégration ne s’est pas faite sans conditions. L’adhésion des deux Allemagne fit suite à une politique visionnaire de la détente, dont le but consistait à « combler les fossés de la guerre froide », comme le formulait mon prédécesseur, le chancelier fédéral et lauréat du prix Nobel de la paix Willy Brandt, ici même à New York, il y a 50 ans. Trois choses étaient à cet égard indispensables : premièrement, les deux États allemands devaient prendre l’engagement clair de résoudre les conflits sans recourir à la force. Cet engagement fut énoncé dans le traité sur les bases des relations entre Bonn et Berlin‑Est ainsi que dans les traités conclus par la République fédérale avec ses voisins à l’Est. La deuxième condition était le renoncement à toute forme de révisionnisme : les frontières allemandes nouvellement définies après la Seconde Guerre mondiale devaient être reconnues comme inviolables. Cette décision se heurta à l’époque au refus de nombreux citoyennes et citoyens d’Allemagne de l’Ouest. Rétrospectivement, elle s’est avérée être la bonne. Enfin, la troisième condition était une politique qui n’occultait pas la réalité de la guerre froide et dont le but demeurait parallèlement de surmonter le statu quo, c’est‑à‑dire la confrontation des blocs et, par là même, la division artificielle de l’Allemagne.
Si je songe aujourd’hui, en ce lieu, aux débuts de notre adhésion aux Nations Unies, ce n’est pas seulement par intérêt historique, mais parce que l’interdiction du recours à la force constitue toujours la promesse essentielle non réalisée de nos Nations Unies. Parce que l’inviolabilité des frontières et l’égalité souveraine des États doivent aussi être défendues dans notre monde multipolaire, par chacun et chacune d’entre nous. Et parce qu’aujourd’hui également – je dirais même surtout aujourd’hui –, nous avons besoin de courage, de créativité et de volonté pour combler les fossés, des fossés qui n’ont jamais été aussi profonds. L’Allemagne adhère entièrement à ces trois idéaux que sont le renoncement à la violence comme instrument politique, le refus de toute forme de révisionnisme et l’attachement à la coopération au‑delà des clivages.
Ces idéaux nous ont donné à nous, Allemandes et Allemands, la chance inouïe de vivre aujourd’hui dans un pays unifié, en paix avec nos voisins, avec des amis et des partenaires dans le monde entier. Parallèlement, cette phrase prononcée par Willy Brandt ici même, il y a déjà 50 ans, est d’autant plus vraie aujourd’hui : « Dans un monde où, de plus en plus, l’un dépend de l’autre, la politique de paix ne saurait s’arrêter à la porte de la maison. » La politique allemande ne peut se résumer et ne se résumera jamais à faire valoir nos intérêts au détriment d’autres pays. Car nous savons que notre liberté, notre démocratie et notre prospérité sont profondément liées au bien‑être de l’Europe et du monde.
C’est pourquoi le mot d’ordre du moment n’est pas de moins coopérer à l’avenir – ce que l’on qualifierait aujourd’hui peut être de « découplage » ou de « coopération uniquement entre pays affinitaires ». Le mot d’ordre est au contraire à une coopération accrue, c’est‑à‑dire au renforcement d’alliances existantes tout comme à la recherche de nouveaux partenaires, car c’est le seul moyen de réduire les risques liés à des dépendances par trop unilatérales.
Cela vaut d’autant plus dans un monde qui, à la différence d’il y a 50 ans, ne connaît plus seulement deux, mais de multiples centres de pouvoir. La multipolarité ne constitue pas un ordre nouveau. Ceux qui pensent que les petits pays sont les prés carrés des grands pays se trompent. La multipolarité n’est pas une catégorie normative mais la description d’un état. Ceux qui cherchent de l’ordre dans un monde multipolaire doivent commencer ici, aux Nations Unies. Par conséquent, l’Allemagne soutient le système onusien et y apporte sa contribution par totale conviction, en tant que deuxième donateur après les États‑Unis. Seules les Nations Unies, sur la base des valeurs inscrites dans leur Charte, répondent pleinement à l’exigence de la représentation universelle et de l’égalité souveraine de tous les pays. Ce qui n’est le cas ni du G7 ou du G20, malgré leur importance pour la coordination mondiale, ni des BRICS ou encore d’autres groupes.
Je sais ce que d’aucuns y objectent : « N’est‑il pas vrai que l’ONU est par trop souvent incapable d’agir, paralysée par les antagonismes de ses membres hétérogènes ? » À ceux‑là je réponds : le blocage de quelques États, même s’il s’agit de pays puissants, ne doit pas nous empêcher de voir que nous, la grande majorité des États, nous sommes d’accord sur de nombreux points. Nous voulons tous – ou presque tous – que la violence demeure un instrument politique proscrit. Nous avons tous intérêt à ce que la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de nos pays soient respectées, et nous devrions tous savoir que cela suppose une chose : que nous accordions aussi ces droits à d’autres pays.
Ces règles d’or sont universelles, même si beaucoup d’entre nous n’étions pas encore assis autour de la table lorsque la Charte de l’ONU a été adoptée en 1945. À peine dix ans plus tard, à Bandung en Indonésie, ce furent cependant les États d’Afrique et d’Asie libérés du colonialisme qui se prononcèrent en faveur de l’autodétermination, de l’intégrité territoriale, de l’égalité souveraine de tous les États et d’un monde sans colonialisme ni impérialisme. Cela semble aujourd’hui plus actuel que jamais. C’est à ces principes que nous devons tous nous mesurer, petits comme grands pays. C’est également sur ces principes que doit reposer le nouvel ordre de notre monde multipolaire ! Alors seulement nous pourrons relever les défis mondiaux de notre époque.
Parmi ces défis, le plus important est le changement climatique induit par l’Homme. Évidemment, les pays industrialisés classiques portent une responsabilité toute particulière dans la lutte contre la crise climatique. Par ailleurs, beaucoup d’autres pays comptent aujourd’hui parmi les principaux émetteurs. Au lieu d’attendre que d’autres s’y attellent, nous devons tous faire davantage pour réaliser les objectifs climatiques de Paris. Chacun et chacune doit avoir la possibilité d’atteindre le même niveau de prospérité que les citoyennes et les citoyens d’Europe, d’Amérique du Nord ou de pays tels que le Japon et l’Australie. Mais si ce développement économique s’opère avec les technologies et les modes de production du XIXe ou du XXe siècle, soit avec des moteurs thermiques et des centrales à charbon, alors notre planète n’y survivra pas.
La conclusion que nous devons en tirer est donc la suivante : nous devons découpler développement économique et émissions de CO2. De nombreux pays y arrivent déjà car nous disposons des solutions et des technologies pour y parvenir. En tant que pays technologique puissant, nous proposons de coopérer dans ce domaine pour le bien commun. Si les producteurs d’énergies renouvelables et leurs utilisateurs industriels se réunissent par‑delà les continents, nous bâtirons ensemble une prospérité nouvelle en de nombreux endroits du monde. Je me réjouis de pouvoir vous annoncer aujourd’hui que l’Allemagne respecte aussi ses engagements en matière de financement international de l’action climatique. De 2 milliards d’euros en 2014 et de 4 milliards d’euros en 2020 à 6 milliards d’euros l’année dernière, nous avons multiplié notre contribution par trois. Nous tenons ainsi parole. C’est également le cas de l’ensemble des pays industrialisés qui, pour la toute première fois, rempliront cette année leur objectif de 100 milliards d’euros pour le financement international de l’action climatique. Il s’agit d’un signal important, d’un signal attendu depuis longtemps, avant que nous dressions un bilan à Doubаï en décembre prochain et que nous négociions de nouveaux plans climat pour la période après 2030. Il m’importe à ce sujet que nous agissions de manière la plus concrète et contraignante possible. C’est pourquoi je préconise que nous nous fixions des objectifs clairs à Doubаï pour le développement des énergies renouvelables et pour davantage d’efficacité énergétique.
Nous serons tout aussi ambitieux afin d’atteindre les ODD, les objectifs de développement durable. Protection du climat ou développement : cette mise en balance ne mène à rien. Notre sommet d’hier m’a montré à quel point il était urgent de rattraper également notre retard concernant les ODD. L’année prochaine, lors du Sommet de l’avenir que nous préparons conjointement avec nos amis namibiens, nous voulons donc continuer à accélérer le rythme et faire avancer la mise en œuvre du Programme 2030.
Il est pour moi essentiel dans ce contexte que nous renforcions les investissements privés en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes. Pour ne citer qu’un exemple : le monde entier parle actuellement de la diversification des chaînes d’approvisionnement et de la sécurité de l’approvisionnement en matières premières. Ne serait‑ce pas un début que d’effectuer au moins la première étape de transformation de ces matières à l’endroit même où elles sont extraites ? L’Allemagne et les entreprises allemandes sont en tout cas disposées à nouer précisément ce type de partenariats.
Ces prochaines années, nous devrons bien évidemment tous affronter le défi de mettre notre économie, notre approvisionnement énergétique et notre infrastructure sur la voie d’un avenir économe en ressources et climatiquement neutre. Cela nécessitera des investissements considérables. Pour que ces investissements soient possibles, nous devons nous atteler à la crise de la dette de nombreux pays et moderniser l’architecture financière internationale. Comme je le disais au début de mon intervention, l’Allemagne ne s’accroche pas au statu quo, y compris sur cette question. Nous voulons que les choses changent. Je m’engage – comme récemment lors du sommet du G20 à Delhi – pour réformer les banques multilatérales de développement, afin qu’elles puissent contribuer davantage au financement de biens publics mondiaux tels que la protection du climat et de la biodiversité ou la prévention de pandémies. C’est également ce qu’a décidé le G20 à Delhi. L’Allemagne soutient cette réforme, y compris sur le plan financier. Nous sommes le premier pays à investir 305 millions d’euros de capital hybride dans la Banque mondiale, capital qui, selon les attentes, devrait permettre à cette dernière d’accorder plus de 2 milliards d’euros de prêts supplémentaires.
Mesdames et Messieurs, le Secrétaire général António Guterres a mentionné ce matin l’augmentation rapide des besoins humanitaires due aux nombreuses crises à travers le monde. L’Allemagne est le deuxième donateur d’aide humanitaire à l’échelle internationale, et nous continuerons à soutenir les personnes en situation de grande détresse.
Nos Nations Unies non plus ne doivent pas s’accrocher au statu quo, Mesdames et Messieurs. Et je dis cela pour deux raisons. Premièrement, les Nations Unies doivent faire face aux défis de demain, comme le propose également le secrétaire général António Guterres. Selon moi, l’une des grandes questions qui se posent à cet égard est de savoir comment nous pouvons rendre accessibles les innovations et le progrès technologique à l’humanité entière. L’intelligence artificielle, par exemple, recèle d’importantes opportunités. Dans le même temps, elle peut cimenter la division du monde si elle ne bénéficie qu’à quelques‑uns, si les algorithmes ne tiennent compte que d’une partie de la réalité, si l’accès à cette technologie est limité aux seuls pays riches. C’est la raison pour laquelle l’Allemagne encourage avec insistance l’échange sur le pacte numérique mondial. Nous devrions aussi discuter de règles communes pour l’utilisation éventuelle de l’intelligence artificielle générative comme arme.
Une autre question d’avenir est de savoir comment les Nations Unies reflètent elles‑mêmes la réalité d’un monde multipolaire. Jusqu’à présent, elles ne le font pas suffisamment. Nulle part ailleurs, cela n’est aussi manifeste que dans la composition du Conseil de sécurité. C’est pourquoi je me réjouis que de plus en plus de partenaires, dont trois sont des membres permanents, aient déclaré vouloir avancer sur la question de la réforme. Il est clair que l’Afrique mérite d’avoir davantage de poids, et c’est également le cas de l’Asie et de l’Amérique latine. Partant de cette prémisse, il est possible de négocier un texte doté de différentes options. Aucun pays ne devrait bloquer de telles négociations à l’issue ouverte en avançant des revendications maximales. Nous ne le faisons pas non plus. En définitive, il relève de la responsabilité de l’Assemblée générale de décider d’une réforme du Conseil de sécurité. D’ici là, l’Allemagne souhaiterait prendre des responsabilités en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, et je vous prie d’appuyer notre candidature pour les années 2027/28.
Mesdames et Messieurs, lorsque je parle de la paix ces jours‑ci, devant cette assemblée, mes pensées vont à celles et ceux pour qui la paix est un rêve lointain : aux Soudanais et aux Soudanaises qui sont victimes d’une lutte cruelle pour le pouvoir entre deux chefs de guerre, aux femmes et aux hommes dans l’est du Congo ou encore, et c’est très actuel, aux habitants du Karabakh – la reprise des activités militaires, j’en suis convaincu, mène dans une impasse ; elles doivent cesser. Et bien entendu, aux Ukrainiennes et aux Ukrainiens qui se battent pour leur vie et leur liberté, pour l’indépendance et l’intégrité territoriale de leur pays, pour le respect des principes mêmes auxquels nous avons tous souscrit dans la Charte de l’ONU.
Mais l’Ukraine n’est pas la seule à souffrir énormément de la guerre d’agression de la Russie. Partout dans le monde, des citoyennes et des citoyens souffrent de l’inflation, d’un endettement croissant, de la pénurie des engrais, de la faim et d’une pauvreté grandissante. C’est justement parce que cette guerre a des répercussions insupportables à l’échelle internationale qu’il est juste et adéquat que le monde participe à la recherche de la paix. Dans le même temps, nous devons nous méfier des faux‑semblants de solutions qui n’ont de point commun avec la paix que le nom. Car sans liberté, la paix n’est qu’oppression. Sans justice, la paix n’est que diktat. Moscou aussi doit enfin comprendre cela. Car n’oublions pas que la Russie est responsable de cette guerre et que c’est le président de la Russie qui peut y mettre fin à tout moment, par un seul et unique ordre. Pour qu’il le fasse, il doit cependant comprendre que nous, les États des Nations Unies, nous prenons nos principes au sérieux, que le révisionnisme et l’impérialisme n’ont plus leur place dans le monde multipolaire du XXIe siècle. Peu de personnes l’ont formulé, ici à New York, avec autant de justesse que notre collègue, l’ambassadeur du Kenya. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il a déclaré ceci au Conseil de sécurité : [En anglais dans le texte original] « Plutôt que de former des nations qui regardent sans cesse vers le passé avec une dangereuse nostalgie, nous avons choisi de nous tourner vers l’avenir, vers une grandeur qu’aucune de nos nombreuses nations et qu’aucun de nos nombreux peuples n’avaient jamais connue. »
Chères et chers délégués, l’histoire de l’Allemagne recèle de nombreux enseignements sur les dangers d’une telle nostalgie. C’est pourquoi nous avons choisi un chemin différent lorsque nous avons rejoint les Nations Unies il y a 50 ans, le chemin de la paix et de la réconciliation, le chemin de la reconnaissance des frontières existantes, le chemin de la coopération avec chacun et chacune d’entre vous dans la quête d’un monde meilleur, d’un monde plus équitable. Cela a commencé par une promesse solennelle que nous avons faite il y a 50 ans, une promesse que nous avons tous faite en adhérant aux Nations Unies : « unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Tous ensemble, faisons de notre mieux pour tenir cette promesse. Je vous remercie.